Sur la lettre aux lecteurs d’Informations ouvrières et aux militants…
À l’issue du Ve
Congrès du POI, qui s’est tenu les 21 et 22 novembre 2015 à Paris (une semaine
après les attentats), les délégués ont adressé aux lecteurs d’Informations
ouvrières, aux « militants de toutes tendances du mouvement ouvrier »,
et à « tous les citoyens attachés à la défense de la démocratie »,
une lettre pour dénoncer « l’hypocrisie de ce gouvernement » et les
mettre en garde contre le piège qui, au nom de « l’impérieuse nécessité de
protéger la population des attaques terroristes », met en place un
« dispositif institutionnel liberticide » au service, non pas
tant de la sécurité, que de sa politique d’agression contre les droits des
travailleurs, les élus communaux, les libertés syndicales, bref, « les
valeurs de la démocratie républicaine ».
Il est vrai que, de
manière générale « l’état d’urgence » ne fait pas bon ménage avec les
libertés démocratiques : le renforcement des pouvoirs des autorités
civiles ne peut être justifié que par des situations de troubles graves et à
titre exceptionnel. Or, il faut reconnaître que la gravité des actions
terroristes qui ont ensanglanté Paris, et dont la menace persiste, ne rend pas
scandaleuse cette promulgation. Mais cela ne doit pas dispenser de se
questionner tant sur son absolue nécessité que sur ses inévitables conséquences
et ses possibles dérives, en se défiant des outrances en tout genre, et en
premier lieu de l’ivresse belliciste des va-t’en guerre de tout poil dans une
nouvelle « union sacrée ». Mais n’est-ce pas une autre outrance que ce
procès intenté au gouvernement d’exploiter cyniquement les attentats pour
justifier les mesures liberticides lui permettant d’imposer sa politique
antisyndicale et anti-ouvrière ; de s’autoriser d’une union sacrée contre
le terrorisme pour réaliser une union nationale en faveur de sa
politique ? En faire le seul responsable du terrorisme qui frappe la
population française est à la fois réducteur, simpliste et injuste. En déduire
qu’il suffirait de « rassembler les travailleurs avec leurs
organisations » pour « protéger la société de la barbarie », et
mettre sur le même plan le terrorisme et les « régressions dans lesquelles
les exigences du capital plongent la société » c’est faire preuve de
confusion et d’aveuglement. Il est tout de même stupéfiant que dans une lettre
adoptée une semaine après les attentats, il puisse être question du terrorisme
sans qu’il soit fait mention des terroristes eux-mêmes, ni de l’islamisme, ni du
salafisme, ni de Daech, comme si rien de tout cela n’existait !
Entendons nous bien.
Il ne s’agit pas d’exonérer ce gouvernement de toute
responsabilité, mais de reconnaître en premier lieu qu’il la partage avec
d’autres :
·
Avec les
gouvernements précédents qui sont intervenus en Irak, en Lybie, en Afghanistan.
·
Avec les États
Unis, qui, sous prétexte d’apporter la démocratie dans ces pays, y ont apporté
le chaos, et favorisé le développement des mouvements terroristes.
· Il faudrait même
remonter, dans cet examen des responsabilités, à la colonisation menée par les nations
européennes et en particulier la France et l’Angleterre depuis l’expédition de
Bonaparte en Egypte en 1798 et à leur soutien intéressé à des dictatures
féroces et des régimes obscurantistes.
Responsabilités
nombreuses et complexes mais il ne faut pas ignorer celle du fondamentalisme
islamique, non seulement de ses avatars contemporains que sont Al-Qaïda,
Boko-Haram et l’E-I, mais aussi, bien avant ces monstres nés avec le siècle, la
confrérie des Frères musulmans, fondée en Égypte dès 1938 par Hassan al-Banna,
avec son credo : « L’Islam est
religion et État, Coran et glaive, culte et commandement, patrie et
citoyenneté. Dieu est notre but, le Prophète notre modèle, le Coran notre loi, le Djihad notre voie, le martyre notre vœu. »
Il faut cesser de se laisser abuser par ceux qui distinguent un Islam modéré
incarné par les bons frères musulmans qu’ils assimilent à une confrérie
charitable, en ignorant que c’est par ce mouvement que s’est opérée dans
l’islam la fusion du religieux et du politique, et un islam radical composé de
fous furieux fanatisés : le second dérive du premier !
Quant aux « contre-réformes
coordonnées par l’Union européenne » et « les institutions
antidémocratiques de la Ve République », elles ne pèsent pas
bien lourd, pour expliquer la barbarie qui a frappé la France, face aux enjeux géopolitiques
et religieux inextricablement mêlés dans le « monde arabo musulman »,
et aux enjeux géostratégiques et économiques des grandes puissances (la France
certes, mais aussi l’Amérique et la Russie, la Turquie et l’Iran, l’Arabie
Saoudite, le Yémen et le Qatar).
« Après l’effroi,
le temps des questions », titrait IO du 19 novembre dernier. Soit, mais y
a-t-il d’autres questions que celle de la mise en œuvre des mesures permettant
d’assurer la sécurité et d’empêcher que se reproduisent de tels
attentats ? On connaît les réponses de Hollande : l’état d’urgence
pour permettre en France la traque des terroristes et des frappes redoublées
sur la Syrie, afin d’éradiquer l’État islamique. Ces fins sont-elles légitimes
et les moyens mis en œuvre adaptés ?
On pouvait attendre d’Informations
Ouvrières qu’il se penche sérieusement sur ces questions. Les citoyens ont en
effet besoin d’éléments de réflexion et d’analyse qui leur permettent de mieux
appréhender la situation dans sa complexité et de s’élever au dessus de la mise
en scène médiatique de la douleur, et de l’appel incantatoire aux valeurs
républicaines sur fond de marseillaise et de drapeaux bleu-blanc-rouge. Certes,
IO ne tombe pas là-dedans, mais quelles questions, et quelles réponses, quelle
réflexion, et quelles analyses ? Rien d’autre que la récusation a priori
des réponses du gouvernement : « À qui Hollande fera-t-il croire
qu’il met toute la puissance de l’État au service de la protection de nos
concitoyens » ?
Mais, il y a pis : l’argumentation d’Yvan Legoff,
dans le n°378 d’IO, revient pour l’essentiel à exonérer Daech et les islamistes
de toute responsabilité puisque « c’est
la guerre menée depuis des années par les grandes puissances en Afghanistan,
puis en Irak, en Lybie, au Yémen, au Mali, en Syrie, etc., qui a fait
prospérer, sur les ruines des nations pulvérisées par les frappes et les
interventions militaires, les groupes mafieux qui, aujourd’hui portent la
terreur au cœur de l’Europe ».
Procès uniquement à charge et contre
les seules puissances occidentales, en premier lieu la France. Très
curieusement, il n’est même pas question de l’islamisme, ni du djihadisme, mais
seulement des « groupes mafieux », surprenante circonlocution.
Qu’est-ce donc qui retient Legoff d’appeler un chat un chat ? S’agirait-il,
comme lors des attentats de Charlie, de prévenir les risques
d’« amalgames » et la stigmatisation de la « communauté
musulmane » ? S’agirait-il de ramener le débat sur le seul terrain
jugé pertinent et digne d’intérêt, celui de la « lutte des classes »
en France ? Il le semble, puisque dans l’article de Legoff comme dans la lettre
aux lecteurs d’Informations ouvrières…, après avoir fait mention de
« l’effroi provoqué dans le pays tout entier par la sauvagerie des
attentats terroristes du 13 novembre », et « le vœu de tous les
citoyens d’être protégés », il est aussitôt question de la loi santé de
Marisol Touraine, de la réforme des collèges, de la privatisation des services
publics, de la réforme du code du travail… Questions certes fondamentales, mais
sans rapport direct avec les attentats terroristes et la protection des
citoyens. C’est comme pour Charlie : on dénonce l’hypocrisie du Président
de la République, du Premier ministre et son gouvernement en posant cette seule
question : « Et
maintenant ? Réussiront-ils à profiter de la légitime émotion provoquée
par les attentats pour faire passer la loi Macron et les
contre-réformes » ? Même procédé, et mêmes arrière-pensées
aujourd’hui. À chaque fois, on occulte la réalité du terrorisme et on laisse
entendre que ce n’est pas le véritable sujet.
Or, est
indispensable de savoir et de dire que :
·
si le fondateur des
frères musulmans Hassan al-Banna s’était déjà fait l’apôtre d’une
réislamisation radicale de la société musulmane, son successeur Sayyid Qutb,
qui a élaboré dans les prisons nassériennes le renouveau de la pensée islamique
dont les mouvements contemporains sont pour la plupart les héritiers, adopte
un langage de guerre totale qui n’épargne aucune nation. C’est toute la planète
qu’il accuse d’impiété et qu’il voue au Djihad, toutes « les sociétés de
l’ignorance antéislamique ».
·
si les
interventions en Irak, en Afghanistan, en Lybie et à présent en Syrie, ont eu
des motifs très douteux et des conséquences catastrophiques, si elles ont
contribué à nourrir l’islamisme radical et le terrorisme, notamment en lui fournissant des motifs tout aussi douteux (dont
ils n’avaientt d’ailleurs pas besoin), cette guerre menée par Daech contre
l’occident est un projet de l’islamisme politique inauguré par les frères
musulmans, poursuivi par Al Qaïda et que l’État islamique, en se dotant d’un
territoire et d’une armée, a entrepris de réaliser.
C’est un
danger on ne peut plus réel, qu’il serait criminel d’ignorer ou de minimiser,
et dont il faut absolument se protéger, en prenant toutes mesures appropriées.
« L’Etat islamique est l’organisation terroriste la
plus meurtrière du monde (…) Depuis juin 2014, date de proclamation du
« califat » on a recensé
83 attentats et exécutions d'otages commis par l’organisation et ses
diverses « filiales » à travers le monde : « Depuis 18 mois plus de 1600 morts dans une
vingtaine de pays » Le Monde
Cela ne suffit pas à
justifier l’état d’urgence sur le territoire français et les frappes françaises
en Syrie, mais cela fait obligation d’examiner ces questions avec sérieux et
responsabilité.
Il ne faut pas ignorer les risques que l’état d’urgence fait peser sur la démocratie. Informations ouvrières est tout à fait dans son rôle lorsqu’il rappelle ce qu’est l’état d’urgence, ce qu’il permet au ministre de l’Intérieur et aux préfets, de même que lorsqu’il fait mention de la position de la Ligue des droits de l’homme, et du Syndicat de la magistrature. Ce sont des pièces à verser au dossier, car il importe aujourd’hui aux citoyens et aux militants d’avoir les éléments leur permettant de fonder une position argumentée. Il est trop facile de déclarer, comme Claude Billot-Zeller « État d’urgence, pas d’accord » (IO n°379), par la seule raison que ce serait « un alibi ».
Il ne faut pas ignorer les risques que l’état d’urgence fait peser sur la démocratie. Informations ouvrières est tout à fait dans son rôle lorsqu’il rappelle ce qu’est l’état d’urgence, ce qu’il permet au ministre de l’Intérieur et aux préfets, de même que lorsqu’il fait mention de la position de la Ligue des droits de l’homme, et du Syndicat de la magistrature. Ce sont des pièces à verser au dossier, car il importe aujourd’hui aux citoyens et aux militants d’avoir les éléments leur permettant de fonder une position argumentée. Il est trop facile de déclarer, comme Claude Billot-Zeller « État d’urgence, pas d’accord » (IO n°379), par la seule raison que ce serait « un alibi ».
Quant à tomber dans le
piège qui serait « tendu aux travailleurs, ouvriers et paysans, et à leurs
organisations, à toutes les couches de la population laborieuse », c’est
une autre affaire : il ne saurait être question, au nom de « l’union
nationale contre le terrorisme », de « renoncer à tous les
acquis », en particulier ceux de 1936 et de 1945, et il faut plus que
jamais combattre la destruction des services publics et du code du travail,
état d’urgence ou pas, tout en luttant contre l’arbitraire policier et toutes
les dérives possibles, autant que nécessaire, mais cela ne saurait justifier
une dénonciation a priori de toute mesure visant à assurer la protection des
citoyens. Il ne suffira pas de répéter que « les guerres et la violence
qui frappent la planète sont les conséquences inéluctables du capitalisme ».
Il faudra vraiment se demander « Que faire ? » pour lutter
contre le terrorisme sans idées préconçues, mais en prenant le terrorisme au
sérieux. Il serait aussi stupide de dire, comme Macron, que les causes du
Djihadisme sont dans « les corporatismes » que d’affirmer que les
causes des attentats sont dans la politique de Macron.