Les Indiens d'Europe


Jouer à l'Europoly

Les Indiens sont de plus en plus nombreux en Inde, de moins en moins nombreux en Amérique où ils ont été exterminés et où les rares qui ont survécu, tant au Nord qu'au Sud , à l'Est qu'à l'Ouest, sont réduits à la plus grande des misères, économique et humaine. Bien sûr, ce ne sont pas les mêmes Indiens et si l'on utilise le même mot pour désigner des populations tellement différentes, c'est parce que Christophe Colomb avait la vue un peu courte et s'était mépris sur les véritables dimensions de la Terre. Mais pour l'Europe ? Chacun sait qu'il n'y a eut jamais d'Indiens en Europe, sinon les immigrés de l'Inde. Alors, en quoi le sort des Amérindiens, pour malheureux qu'il soit, peut-il donc bien nous concerner aujourd'hui, puisque nous sommes assurés que, contrairement à ce que chantait le comique Carlos, dans la "plaine" d'Arromanches, il n'y aura jamais de Comanches ?

" Ah! ah! monsieur est Persan? C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan? " demandait-on à Rica, le Persan que Montesquieu promène à Paris, dans les "Lettres persanes". Ici l'on pourrait demander : "Comment peut-on être Indien lorsqu'on habite l'Europe ? Et ce serait une chose encore bien plus extraordinaire d'être Indien que d'être Persan, et il faudrait répondre : " mais voyons, monsieur, il n'y a point d'Indiens en Europe, il n'y en eut jamais, et il n'y en aura jamais ! ".

A moins que, malgré les apparences, nous soyons tous des Indiens. Si les Français, les Italiens, les Allemands, les Grecs, les Polonais, les Espagnols..., ce n'était pas eux, les Indiens d'Europe ? Autrement dit, tous ces peuples ne seraient-ils pas voués à la même extermination que les Indiens d'Amérique, et par un processus qui ne serait pas si différent ?

Il faut d'abord rappeler ce que tout le monde sait : les Américains ne sont pas les premiers habitants de l'Amérique, mais les Indiens, les "natives", comme doivent bien le reconnaître les Américains d'aujourd'hui, qui ne sont pas leurs descendants, mais leurs remplaçants.

A gauche, une représentation illustrée du territoire des États-Unis avant l'invasion européenne. On pourra situer sur cette carte la localisation des "nations " indiennes : nation Apache, nation Cheyenne, nation Comanche, Cherokee, etc. Certes, on pourra toujours dire qu'il ne s'agit pas là de nations, au sens européen du terme, autrement dit d'états-nations, mais plutôt de peuples, ou de cultures, "d'aires culturelles"...
Sans doute, mais quel que soit le mot par lequel on les désigne, de ces nations, ou de ces peuples, ou de ces cultures, il ne reste rien, sinon quelques survivances dans quelques réserves rabougries. C'est en les faisant disparaître qu'ont pu se former les "États-Unis".




C'est sur la carte ci-dessus que l'on peut voir ce que les envahisseurs européens ont fait de ce territoire en un peu plus d'un siècle, pour passer des 13 colonies anglaises de 1783 aux 50 États du début du XXe siècle. C'est "la conquête de l'ouest" dont le western nous raconte l'histoire à la mode yankee, mais derrière ce folklore, il y a les 65 guerres opposant les colons européens puis les Américains aux peuples Indiens d'Amérique du Nord, de 1778 à 1890, jalonnées par de nombreux massacres, dont on retiendra le terrible massacre de Wounded Knee où 200 amérindiens de la tribu Lakota Minneconjou des Sioux (dont plusieurs dizaines de femmes et des enfants) ont été tués par l'armée des États-Unis.

Il fallait "effacer" les nations indiennes pour redessiner le territoire de l'Amérique du Nord, chaque nouvel État marquant une étape du développement des États Unis par la progression vers l'Ouest. En fait, les États-Unis d'Amérique portent mal leur nom, car ils n'existaient pas comme États avant leur soi- disant "union". On a vu ce qu'il en coûté aux États du sud d'avoir voulu faire sécession. Les États des États-Unis ne sont pas des nations, ce sont les découpages administratifs de l'État fédéral. C'est cet État fédéral qui, seul, est une nation. On peut résumer ainsi la maxime qui a présidé à la naissance de la nation américaine "tout effacer pour commencer".

C'est pourquoi l'on ne saurait concevoir des États-Unis d'Europe sur ce modèle. Les États d'Europe sont des nations, et elles ne peuvent, comme telles, s'unir que par un acte de volonté excluant toute aliénation. Les nations d'Europe ont été forgées par une longue histoire et aucune d'entre elles ne saurait renoncer à une souveraineté chèrement conquise. Comment pourrait-on contraindre les Italiens, ou les Grecs, ou les Français, etc. à renoncer à leur identité, sinon en les exterminant, comme on l'a fait des Indiens d'Amérique ? Une telle solution étant exclue, ne serait-il pas néanmoins possible d'absorber ces peuples, de les phagocyter dans une globalité indifférenciée, bref d'effacer leur identité nationale ? Et quel meilleur moyen pour cela que d'effacer les frontières nationales, pour faire une Europe des régions ? Comme le dit Claude Hillard, dans une étude intitulée "La régionalisation et l'aménagement du territoire en Europe" :

"... la volonté d’aboutir à un marché unique en Europe conduit au démantèlement des frontières nationales (...) l’ARFE ( Assemblée des Régions Frontalières Européennes) poursuit l’objectif d’effacer de plus en plus les frontières étatiques afin de pouvoir procéder à des coopérations transfrontalières et interrégionales renforcées".

Autrement dit, la construction de "l'Union" européenne obéit à la maxime "effacer et recommencer". Il s'agit de dépecer les vieilles nations pour procéder à un nouveau remembrage. Il s'agit en fait de jouer à un nouveau jeu que l'on pourrait appeler l'europoly, une sorte de monopoly à l'échelle de l'Europe.

Pour cela, il faut effacer l'Europe des nations; il faut mettre au rencart la carte ci-dessous.



pour parvenir à cette Europe-là, vierge de toutes frontières.


et procéder à de nouveaux découpages, qui ne seront plus que des découpages administratifs, à l'instar des États des États-Unis d'Amérique.

La monnaie de cette Europe-là sera l'Euro.
La langue de cette Europe-là sera l'anglais.
La devise de cette Europe-là sera : "Concurrence libre et non faussée".
La règle de cette Europe-là sera : "Respect du pacte de stabilité".

Certaines nations de la "vieille Europe" résistent encore à l'Euro, d'autres résistent encore à l'anglais, mais patience, le monde est en marche ! Et il l'on vous dira que pour bien jouer à l'europoly, il vaut mieux utiliser l'euro et maîtriser l'anglais.



On dira que c'est une bien curieuse histoire que celle que je viens de raconter, et que si l'on peut imaginer un tel jeu, et pourpuoi pas, le breveter, il est plus difficile de se représenter une réalité qui lui corresponde.

Que l'on se détrompe : on joue beaucoup, aujourd'hui, à l'europoly, et en grandeur réelle. Pierre Hillard publie des cartes passionnantes, montrant comment le soutien à des régions transfrontalières revient à remettre en question le cadre politique des États. "De la même manière qu'on découpe le poulet rôti en plaçant la lame du couteau aux articulations", l'Union européenne exploserait le cadre de l'État nation par la multiplication des régions transfrontalières. On peut voir, par la carte ci-dessous, les régions transfontalières qui ont été concoctées depuis l'an 2000.

Et encore n'est-ce qu'un début, ce n'est qu'une esquisse. Les perspectives ouvertes par ce remembrement sont infinies : si vous avez quelques difficultés pour votre première partie d'europoly, voici deux exemples dont vous pouvez vous inspirer.



















"La décomposition des nations européennes. De l'Union euro-atlantique à l'Etat mondial", éd. François-Xavier de Guibert

Ces régions transnationales "Atlantique" et "Mer du nord" ne sont pas de purs produits de l'imagination : elles ne sont que 2 des 13 programmes INTERREG IIIB 2000-2006, dont vous trouverez le détail en cliquant sur le lien suivant (téléchargement du fichier PDF.)

C'est donc tout à fait sérieux. On projette aujourd'hui de redessiner la carte de l'Europe comme les Américains prétendent redessiner celle du Moyen orient.
Les guerres coloniales avaient ainsi remodelé les territoires de l'Afrique, de l'Amérique et en partie de l'Asie. Mais en l'espèce quel est ce "on" puisqu'à l'évidence, il ne s'agit ni des conquistadores, ni des troupes coloniales françaises, ni des tuniques bleues ?

Ces nouveaux conquérants qui mettent la main sur l'Europe sont en réalité, les grands groupes capitalistes, les intérêts financiers mondialisés, les fonds spéculatifs et fonds de pension ; bref, il s'agit tout autant d'une invasion exterieure que d'une invasion interieure.

Qui ne voit qu'une telle Europe des régions porterait un coup fatal à la France républicaine ? C'est le député européen Paul-Marie Coûteaux qui l'écrit :

"La 'Nouvelle Europe', dite 'Europe des régions', dont le maître mot serait la subsidiarité pourrait ainsi se passer aisément de l'État national, constatation qui peut se formuler d'une façon plus crue, peut-être plus polémique: Cette Europe (...) peut fort bien se passer de la France et même la condamne à mort. Il suffit de remettre en cause le concept même de frontière, maître mot de la logique nationale dont la vulgate moderniste, toute honte bue, ne fait désormais ni plus ni moins qu'un mur; et il suffit pour les effacer peu à peu, de multiplier les 'coopérations transfrontalières', lesquelles fleurissent d'ailleurs de toutes parts, des Pyrénées jusqu'aux Flandres et à l'Alsace".

Il ne faut pas oublier que cette Europe des régions n'est qu'une étape vers une union euro-atlantique et l'état mondial rêvé par les fonds spéculatifs. Autant dire que c'est une plaisanterie de prétendre que le monde aurait "besoin de l'Europe" pour contrebalancer l'influence américaine.

Voilà comment tous les européens deviendront des Indiens, et il faut entendre par là tous les hommes dépouillés de leur histoire, de leur nationalité, de leur culture, bref de leur humanité. C'est effectivement ce que nous arrivera si nous laissons les Eurocrates de tous poils, qu'ils soient de Londres, de Washington, de Tokyo ou de Paris, jouer à l'europoly avec notre continent, le vrai, celui qui est composé d'hommes et de peuples, qui géographiquement va de l'Atlantique à l'Oural, et qui a été forgé par Descartes et Newton, Dante et Shakespeare, Mozart et Cervantes, et tant d'autres dans tous les domaines des sciences, et des techniques, des arts et des lettres, en somme des cultures. Cette Europe-là existe depuis longtemps. Elle est faite du génie de chaque peuple et ne saurait exister sans eux.

C'est pourquoi l'Union européenne n'est une union qu'en apparence, puisqu'au lieu d'unir, elle disloque, puisqu'au lieu de construire elle détruit.

C'est pourquoi nous disons qu'entre l'Union européenne et "l'union libre des peuples libres", il y a une alternative, et que l'édification d'une Europe libre et indépendante, une Europe des peuples a pour condition première une rupture avec l'Union européenne.

Qui pourra voir là l'ombre d'une contradiction ?



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