Révision de la constitution

Non, c'est Non !

"Deux ans et demi après le "non" au référendum au traité constitutionnel européen, les parlementaires réunis à Versailles ont adopté, lundi 4 février, la révision de la Constitution nécessaire avant la ratification, par la France, du traité européen de Lisbonne.
Le titre XV de la Constitution devait être modifié puisqu'il fait référence au "traité établissant une Constitution pour l'Europe signé le 29 octobre 2004", rejeté par référendum. Le nouveau texte remplace le précédent, précisant que la République "peut participer à l'Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007."
Le Monde du 4 février 2008.

Que les députés et sénateurs, réunis en congrès, aient osé réviser la constitution, à la seule fin de ratifier le traité de Lisbonne oblige à se poser deux questions :

➢ à quoi sert donc une constitution ?

➢ Comment les représentants du peuple peuvent-ils de manière aussi flagrante voter à l’encontre du peuple dont ils sont les représentants ?

A quoi sert une constitution ?

Une constitution est une charte contenant les textes fondamentaux qui déterminent le gouvernement d'un pays. Dans une République, la constitution n'est pas octroyée par le souverain, elle institue le peuple comme souverain, elle en fait la "source de la souveraine puissance". C'est pourquoi elle ne peut être modifiée à la va vite, à la diable, à la va-comme-je- te-pousse, pour des raisons opportunistes, mais selon des procédures spéciales qui requièrent l'accord du peuple souverain, et d'autant plus que cette modification a trait à cette souveraineté même et à ses conditions d'exercice. C'est ce que dit très clairement la décision n° 2007-560 DC du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007 sur le Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, datée du 20 décembre 2007 : "L'autorisation de ratifier le traité modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution."

Si le Conseil constitutionnel stipule qu'une autorisation ne peut intervenir qu'après révision de la constitution, c'est bien parce que, tant que la constitution n'a pas été révisée, elle est anticonstitutionnelle : les quelques extraits qui suivent montrent bien ce qui est en jeu.

"Considérant que, par le préambule de la Constitution de 1958, le peuple français a proclamé solennellement « son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 (...) Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; que l'article 3 de la constitution de 1958 dispose (...) que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par le voie du référendum (... ) Considérant, toutefois, que, lorsque des engagements souscrits (...) contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle (...) le Conseil Constitutionnel décide que l'autorisation de ratifier le traité modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution".

Le texte complet peut être consulté à l'adresse suivante :
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2007/2007560/20075560dc.htm

Il est tout à fait clair que ce qui est en jeu, c'est la souveraineté nationale, et ce n'est pas un hasard si le Conseil Constitutionnel se réfère à la fois à la déclaration de 1789, à la déclaration de 1946, et même au préambule à la déclaration de 1958, et justifie la nécessité du recours au référendum par le principe général selon lequel "le principe de toute souveraineté réside dans la nation".

Il est vrai que le Conseil Constitutionnel dit que l'autorisation de ratifier revient au peuple par ses représentants et par référendum, mais en l'occurrence, il doit être rappelé que le traité qu'il s'agit de ratifier, abusivement qualifié de "nouveau" et de "simplifié" reprend les dispositions d'un traité antérieur qui a déjà été soumis au référendum et rejeté par 55% des Français.

Bien sûr, depuis, Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République et dispose d'une chambre à sa dévotion. Certes, il s'était engagé à "remettre la France dans l'Europe", mais il avait aussi promis de prendre en compte le "Non" des Français en 2005. Comment concilier ces promesses contradictoires : peut-on imaginer que les Français, dans l'intervalle, aient changé radicalement de position sur l'Union Européenne ; peut-on affirmer que l'Europe du Traité de Lisbonne était radicalement différente de celle à laquelle ils avaient dit "NON" ?

Valéry Giscard d'Estaing a clairement répondu à la seconde question : le "nouveau traité" version Sarkozy est bien la reprise fidèle du projet de constitution rejeté par les Français. Pour la première question, la seule manière de savoir si les Français avaient changé d'avis sur cette Europe-là était de le leur demander, et comment le faire, sinon par un nouveau référendum ?

Que Nicolas Sarkozy ait refusé la voie référendaire, pourtant prescrite par la Constitution, montre à quel point il craignait un nouveau Non ! Qu'il ait eu recours à la voie parlementaire montre au contraire que, par ce moyen, il était assuré d'un "Oui" massif.

De cette réflexion, on peut tirer trois conséquences :
  1. La distorsion entre les résultats attendus de la consultation directe des Français et de celle de leurs représentants, ouvre une crise de la représentation, la plus grave qu'ait connue la Vème République.
  2. Ne pas consulter le peuple pour des questions qui engagent sa souveraineté constitue, et c'est ce qui a été le plus souvent souligné, un grave déni de démocratie.
  3. Mais on oublie de dire que c'est la Constitution, telle qu'elle a été établie par le peuple en 1789, et dont les principes tenant à la souveraineté nationale se sont perpétués bon gré mal gré jusqu'à la Constitution de 1958, qui est ruinée, et à travers elle, la République.
Par ce 18 brumaire larvé, Nicolas Sarkozy met fin au régime républicain pour mettre en place une forme tout à fait inquiétante de bonapartisme : Alain Badiou dit non sans raison de pétainisme. Sarkozy reste président, mais ce n'est plus d'une République : derrière la République défunte se dessine le spectre de l'État français. On avait bien dit que cet homme était dangereux, lui qui apparait à présent comme "L'hyper-président" d'une république par défaut. Pauvre Marianne. Décidément, Nicolas Sarkozy se conduit bien mal avec les femmes, qu'elles soient réelles ou symboliques ! Que Sarkozy divorce d'avec Cécilia, qu'il épouse Carla, ce sont là des affaires privées qui ne doivent pas occulter une affaire d'État majeure: la répudiation de Marianne.

Cela ouvre bien entendu une crise de légitimité. Quelle peut être la légitimité d'un régime qui, de réforme constitutionnelle en réforme constitutionnelle, a rogné les principes de la République jusqu'à les renier, qui de transfert de souveraineté en transfert de souveraineté, a cessé de garantir quelque souveraineté que ce soit ? La ratification du Traité de Lisbonne, quoiqu'en disent les constitutionnalistes de tous poils, c'est la fin de la République et l'abandon de la souveraineté française. Nous sommes bien au delà du déni de démocratie.




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