Communiqué par Nicolas Pomiès (UFAL)
LA DEPECHE DU MIDI - PUBLIÉ LE 16/01/2009
Les fonds de pension veulent faire main basse
sur les labos d’analyses médicales
Les professionnels de santé tirent la sonnette d'alarme.
Les fonds de pensions ou des groupes d'assurance privés sont-ils en passe de faire main basse sur la biologie médicale française ? C'est en tout cas la crainte des professionnels libéraux à la veille du débat au Parlement, début février , sur la loi « Hôpital santé et territoire ». Un texte qui, dans un de ses articles, propose d'autoriser l'ouverture totale du capital des laboratoires d'analyses de biologie médicale à des investisseurs non professionnels de santé sur le modèle des cliniques.
Une véritable révolution. Jusqu'à présent, la loi impose que 75 % du capital des labos soit détenu par des praticiens de santé. Objectif, permettre aux blouses blanches de maîtriser la gouvernance de leur outil de travail en toute indépendance, dans le respect des objectifs de santé publique.
« Si cette disposition devait être adoptée, c'est ce verrou qui sauterait pour faire basculer notre profession dans une logique de financiarisation. Ce serait la fin de la médecine libérale et d'un système de santé solidaire et de qualité au service des patients », s'indigne Bertrand de Larrard, président du syndicat des biologistes de Midi-Pyrénées.
La santé, une marchandise comme les autres ? En tout cas un secteur très rentable qui dégage des marges de 20 % là où,dans l'industrie, la profitabilité plafonne entre 5 et 10 %. Un secteur stratégique aussi : 80 % des diagnostics seront posés demain à partir de l'imagerie médicale ou des analyses biologiques avec des patients d'autant plus solvables que jusqu'à présent l'Assurance maladie et les complémentaires santé payent la note.
Avec le vieillissement de la population et des actes de plus en plus techniques, c'est un pactole de plus de 4 milliards d'euros par an (+4% en 2007) qui est à saisir.
Sur les rangs, des gros investisseurs déjà positionnés pour se partager le gâteau : Unilabs Capio, qui réunit des intérêts suisses et espagnols et occupe des positions importantes dans l'hospitalisation privée, la biologie et la radiologie dans 11pays de l'UE ; le groupe Labco, un des leaders du diagnostic médical en Europe, et la Générale de santé, un des leaders de l'hospitalisation privée qui a intégré Fleminglabs, un réseau de laboratoires italiens. Également dans la course Acto capital, filiale financière d'un grand groupe d'assurance français.
Le risque ? « C'est le détournement d'une partie des ressources de l'Assurance maladie au profit de fonds de pensions étrangers soucieux uniquement de maximiser leurs dividendes. C'est aussi l'ingérence des financiers dans l'organisation des soins et la suppression des labos les moins rentables dans les zones peu attractives », alerte Jean-Louis Idiart, député de la Haute-Garonne. dans une lettre adressée à Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé.
Sera-t-il entendu ? Rien n'est moins sûr. Nicolas Sarkozy est favorable à ce projet. Et pour éviter tout accident, le gouvernement a prévu de légiférer par ordonnance. Pour éviter un débat parlementaire qui pourrait être houleux.
« Un fonds de pensions m'a proposé d'acheter mon laboratoire cinq fois son prix »
Même si la loi ne l'autorise pas encore, des financiers vous ont déjà démarché pour vous racheter ?
Oui, c'est une société française adossée à un fonds de pension anglais qui est venu jusqu'à mon laboratoire à Saint-Gaudens. Ils ont regardé mon bilan et m'ont proposé cinq fois la valeur de mon labo à la sortie. Dans un premier temps ils ne rentraient qu'à 25 % mais me prenaient les dividendes en me promettant en échange de devenir actionnaire de leur société.
Pourquoi n'avez-vous pas donné suite ?
Parce que ce n'est pas ma conception de la santé. Rendre un service médical de qualité et à tous, c'est incompatible avec des logiques financières. On assiste aujourd'hui à une financiarisation de la santé qui à l'arrivée se fera au détriment des patients. Avec une médecine à deux vitesses
Un système à l'américaine…
Oui, avec la constitution d'oligolopoles mêlant la finance et l'assurance privée qui pourront à la fois imposer des tarifs sur les actes et des conditions de remboursements parce qu'ils tiendront les deux bouts de notre système de santé. Le paradoxe c'est que nous allons tout droit vers ce modèle, alors que les États-Unis sont en train d'en revenir.
Êtes-vous sûr que vos collègues biologistes auront les mêmes scrupules ?
Ce qui est sûr c'est que d'ic i 10 ans un tiers des biologistes en France sera parti à la retraite et que les voix ne manquent pas pour nous encourager à quitter le navire tant que nos labos ont de la valeur.
Confidentiel. Pourquoi la finance vise la santé.
28 pages serrées pour expliquer pourquoi la biologie médicale est un investissement très profitable. Le document que nous nous sommes procuré est classé « confidentiel ». Il émane d'Acto capital, la filiale financière d'un groupe d'assurance français.
Le constat est pertinent : regrouper un secteur aujourd'hui très éparpillé - 10 000 biologistes en France contre 500 en Allemagne -, et « développer des centres de biologie référent sur la qualité du service médical/diagnostic ». Comment ? En constituant des gros plateaux techniques permettant des économies d'échelle et des gains de productivité.
L'objectif est clair : « Constituer le 1er groupe français dans la biologie médicale » libérale avec « un retour de 4,7 fois l'investissement » d'ici 2013. À la page 6, l'étude détaille les raisons de l'attractivité de ce marché : « 4 % de croissance par an » dans une activité soutenue par « le vieillissement de la population et le progrès médical »
L'âge des biologistes : « Un tiers d'entre eux partiront à la retraite dans la décennie à venir souvent sans solution de transmission de leur entreprise » Et si parmi ces jeunes biologistes certains avaient des velléités d'indépendance le pronostic dressé par les experts mandatés par Acto capital sont formels : « Les niveaux de valorisation des parts des laboratoires ne permettront pas aux jeunes biologistes de racheter des parts aux biologistes cédant… »
Clinique : le médecin dénonce «la rentabilité à tous les étages»
Il y a longtemps que le capital des cliniques a été ouvert à des investisseurs étrangers au monde de la santé. Quelles conséquences sur les soins et la facture finale pour le patient ? Un jeune médecin exerçant dans une clinique de la région témoigne.
« On a senti le changement dans les mois qui ont suivi le rachat. D'abord sur notre statut. La direction a essayé de modifier nos contrats de travail en y ajoutant une clause de mobilité. Ensuite, on nous a mis la pression, nous demandant une disponibilité totale sur les horaires. Et pour corser le tout, les congés maladie inférieurs à huit jours n'ont plus été remplacés. Résultat : des équipes surmenées qui travaillent en tension avec un risque accru d'erreur médicale ».
Selon lui, désormais, c'est « la recherche de la rentabilité à tous les étages ».
Et cela concerne les patients dès leur arrivée : « Nos hôtesses d'accueil sont formées pour vendre des chambres individuelles avec des écrans plats plus chers. Tant pis pour les patients qui devront payer des suppléments non remboursés par la Sécu ou les mutuelles. Au niveau des soins, même modèle, avec « des consignes » aux médecins pour remplir les lits : « Il nous est arrivé d'admettre un patient avec des risques suicidaires qui n'avait rien à faire là », raconte-t-il , ne cachant rien de sa déception : « Les patients sont devenus des clients avant tout. D'ailleurs, ils le ressentent et se plaignent. Il ne s'agit pas de diaboliser les cliniques privées. J'ai bien conscience que mes confrères de l'hôpital public sont soumis eux aussi à un impératif de rentabilité et se plaignent du manque de moyens. Mais en ouvrant complètement le capital aux investisseurs et à la finance est-ce que l'on n'a pas introduit le ver dans le fruit ? Ma conviction c'est que confier notre santé au capital financier, c'est dangereux ».
Une véritable révolution. Jusqu'à présent, la loi impose que 75 % du capital des labos soit détenu par des praticiens de santé. Objectif, permettre aux blouses blanches de maîtriser la gouvernance de leur outil de travail en toute indépendance, dans le respect des objectifs de santé publique.
« Si cette disposition devait être adoptée, c'est ce verrou qui sauterait pour faire basculer notre profession dans une logique de financiarisation. Ce serait la fin de la médecine libérale et d'un système de santé solidaire et de qualité au service des patients », s'indigne Bertrand de Larrard, président du syndicat des biologistes de Midi-Pyrénées.
La santé, une marchandise comme les autres ? En tout cas un secteur très rentable qui dégage des marges de 20 % là où,dans l'industrie, la profitabilité plafonne entre 5 et 10 %. Un secteur stratégique aussi : 80 % des diagnostics seront posés demain à partir de l'imagerie médicale ou des analyses biologiques avec des patients d'autant plus solvables que jusqu'à présent l'Assurance maladie et les complémentaires santé payent la note.
Avec le vieillissement de la population et des actes de plus en plus techniques, c'est un pactole de plus de 4 milliards d'euros par an (+4% en 2007) qui est à saisir.
Sur les rangs, des gros investisseurs déjà positionnés pour se partager le gâteau : Unilabs Capio, qui réunit des intérêts suisses et espagnols et occupe des positions importantes dans l'hospitalisation privée, la biologie et la radiologie dans 11pays de l'UE ; le groupe Labco, un des leaders du diagnostic médical en Europe, et la Générale de santé, un des leaders de l'hospitalisation privée qui a intégré Fleminglabs, un réseau de laboratoires italiens. Également dans la course Acto capital, filiale financière d'un grand groupe d'assurance français.
Le risque ? « C'est le détournement d'une partie des ressources de l'Assurance maladie au profit de fonds de pensions étrangers soucieux uniquement de maximiser leurs dividendes. C'est aussi l'ingérence des financiers dans l'organisation des soins et la suppression des labos les moins rentables dans les zones peu attractives », alerte Jean-Louis Idiart, député de la Haute-Garonne. dans une lettre adressée à Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé.
Sera-t-il entendu ? Rien n'est moins sûr. Nicolas Sarkozy est favorable à ce projet. Et pour éviter tout accident, le gouvernement a prévu de légiférer par ordonnance. Pour éviter un débat parlementaire qui pourrait être houleux.
Hervé Monzat
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« Un fonds de pensions m'a proposé d'acheter mon laboratoire cinq fois son prix »
Bertrand de Larrard président de l'association des biologistes de Midi-Pyrénées.
Même si la loi ne l'autorise pas encore, des financiers vous ont déjà démarché pour vous racheter ?
Oui, c'est une société française adossée à un fonds de pension anglais qui est venu jusqu'à mon laboratoire à Saint-Gaudens. Ils ont regardé mon bilan et m'ont proposé cinq fois la valeur de mon labo à la sortie. Dans un premier temps ils ne rentraient qu'à 25 % mais me prenaient les dividendes en me promettant en échange de devenir actionnaire de leur société.
Pourquoi n'avez-vous pas donné suite ?
Parce que ce n'est pas ma conception de la santé. Rendre un service médical de qualité et à tous, c'est incompatible avec des logiques financières. On assiste aujourd'hui à une financiarisation de la santé qui à l'arrivée se fera au détriment des patients. Avec une médecine à deux vitesses
Un système à l'américaine…
Oui, avec la constitution d'oligolopoles mêlant la finance et l'assurance privée qui pourront à la fois imposer des tarifs sur les actes et des conditions de remboursements parce qu'ils tiendront les deux bouts de notre système de santé. Le paradoxe c'est que nous allons tout droit vers ce modèle, alors que les États-Unis sont en train d'en revenir.
Êtes-vous sûr que vos collègues biologistes auront les mêmes scrupules ?
Ce qui est sûr c'est que d'ic i 10 ans un tiers des biologistes en France sera parti à la retraite et que les voix ne manquent pas pour nous encourager à quitter le navire tant que nos labos ont de la valeur.
Recueillis par H. M.
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Confidentiel. Pourquoi la finance vise la santé.
28 pages serrées pour expliquer pourquoi la biologie médicale est un investissement très profitable. Le document que nous nous sommes procuré est classé « confidentiel ». Il émane d'Acto capital, la filiale financière d'un groupe d'assurance français.
Le constat est pertinent : regrouper un secteur aujourd'hui très éparpillé - 10 000 biologistes en France contre 500 en Allemagne -, et « développer des centres de biologie référent sur la qualité du service médical/diagnostic ». Comment ? En constituant des gros plateaux techniques permettant des économies d'échelle et des gains de productivité.
L'objectif est clair : « Constituer le 1er groupe français dans la biologie médicale » libérale avec « un retour de 4,7 fois l'investissement » d'ici 2013. À la page 6, l'étude détaille les raisons de l'attractivité de ce marché : « 4 % de croissance par an » dans une activité soutenue par « le vieillissement de la population et le progrès médical »
L'âge des biologistes : « Un tiers d'entre eux partiront à la retraite dans la décennie à venir souvent sans solution de transmission de leur entreprise » Et si parmi ces jeunes biologistes certains avaient des velléités d'indépendance le pronostic dressé par les experts mandatés par Acto capital sont formels : « Les niveaux de valorisation des parts des laboratoires ne permettront pas aux jeunes biologistes de racheter des parts aux biologistes cédant… »
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Clinique : le médecin dénonce «la rentabilité à tous les étages»
Il y a longtemps que le capital des cliniques a été ouvert à des investisseurs étrangers au monde de la santé. Quelles conséquences sur les soins et la facture finale pour le patient ? Un jeune médecin exerçant dans une clinique de la région témoigne.
« On a senti le changement dans les mois qui ont suivi le rachat. D'abord sur notre statut. La direction a essayé de modifier nos contrats de travail en y ajoutant une clause de mobilité. Ensuite, on nous a mis la pression, nous demandant une disponibilité totale sur les horaires. Et pour corser le tout, les congés maladie inférieurs à huit jours n'ont plus été remplacés. Résultat : des équipes surmenées qui travaillent en tension avec un risque accru d'erreur médicale ».
Selon lui, désormais, c'est « la recherche de la rentabilité à tous les étages ».
Et cela concerne les patients dès leur arrivée : « Nos hôtesses d'accueil sont formées pour vendre des chambres individuelles avec des écrans plats plus chers. Tant pis pour les patients qui devront payer des suppléments non remboursés par la Sécu ou les mutuelles. Au niveau des soins, même modèle, avec « des consignes » aux médecins pour remplir les lits : « Il nous est arrivé d'admettre un patient avec des risques suicidaires qui n'avait rien à faire là », raconte-t-il , ne cachant rien de sa déception : « Les patients sont devenus des clients avant tout. D'ailleurs, ils le ressentent et se plaignent. Il ne s'agit pas de diaboliser les cliniques privées. J'ai bien conscience que mes confrères de l'hôpital public sont soumis eux aussi à un impératif de rentabilité et se plaignent du manque de moyens. Mais en ouvrant complètement le capital aux investisseurs et à la finance est-ce que l'on n'a pas introduit le ver dans le fruit ? Ma conviction c'est que confier notre santé au capital financier, c'est dangereux ».
H.M.
Merci à Nicolas Pomiès pour ses précieuses informations.
Je renvoie le lecteur au site de l'UFAL pour les deux projets de loi PLFSS 2009 et HPST, ainsi que la réforme de la FNMF du 12 décembre 2008 "ayant pour mission d’achever un premier cycle d’attaques contre la Sécurité sociale solidaire".
Je me bornerai, pour ce qui me concerne, à dire la "Sécurité sociale", étant entendu que la Sécurité sociale fondée en 1945 est, par essence, solidaire.
Je renvoie le lecteur au site de l'UFAL pour les deux projets de loi PLFSS 2009 et HPST, ainsi que la réforme de la FNMF du 12 décembre 2008 "ayant pour mission d’achever un premier cycle d’attaques contre la Sécurité sociale solidaire".
Je me bornerai, pour ce qui me concerne, à dire la "Sécurité sociale", étant entendu que la Sécurité sociale fondée en 1945 est, par essence, solidaire.
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