A propos d'Obama

Quelques mots sur Barack Obama.


Je ne dirai pas grand chose de l'homme, et je le ferai avec prudence et avec réserve. Les médias nous ont montré encore une fois à quel point, de l'une comme de l'autre ils étaient incapables.

Je me bornerai donc à quelques remarques de bon sens et, pour cela difficilement contestables :

  1. Obama est, à ce qu'on dit, un homme cultivé, et l'on ne peut que s'en réjouir. Les Américains ne nous ont pas habitués à cela: leur dernier Président était à ce point inculte et emblématique d'une Amérique ignorante et obscurantiste que l'on se prend à espérer que c'est une autre Amérique qui a élu Obama, pour le plus grand bien de l'Amérique et de la culture.

  2. Obama est, à ce qu'il semble, un homme intelligent et là aussi, le contraste avec son prédécesseur est saisissant. On peut au moins espérer qu'il conduira une politique raisonnable et qu'il épargnera au monde des décisions aussi insensées et dangereuses que celles de Busch.

  3. Obama est, sans nul doute, un homme noir, ce qui, en principe, n'a aucune importance. Mais nous sommes dans une nation qui, jusqu'à une période récente, a pratiqué une ségrégation active, où les Noirs, depuis peu sortis de l'esclavage, ne pouvaient ni prendre les mêmes bus ni leurs enfants fréquenter les mêmes écoles que les Blancs.
    Me revient en mémoire une histoire que l'on racontait dans les années 60 (aux "plus beaux jours" de la guerre froide), qui ne ferait plus rire personne, et à laquelle les nouvelles générations n'entendraient plus rien. Je ne me prive pas du plaisir de la raconter pour les aider à mesurer le chemin parcouru depuis lors :

    C'est l'histoire d'un hommes qui, ayant vécu une "expérience de mort imminente" (EMI - NDE en Anglais ", near dead experience) raconte à qui veut l'entendre ce qu'il a vu "de l'autre côté". L'affaire fait grand bruit, et les autorités de ce monde sont alertées.
    Notre homme se voit d'abord kidnapé et interrogé par les services soviétiques. On le reçoit avec ménagements pour lui poser une seule question : Dieu existe-t-il ? Après s'être assuré qu'il ne subirait pas de représailles du fait de sa réponse, il confie que Dieu existe bel et bien, qu'il l'a vu de ses propres yeux, et qu'il n'y a plus aucun doute possible sur ce sujet. Il est alors reçu par Kroutchev lui même qui se demande comment, après la tempête de la déstalanisation, il va faire passer la pilule auprès de son peuple et du monde. A défaut de pouvoir faire éliminer le personnage devenu trop célèbre, Kroutchev obtient de lui la promesse qu'il ne révèlera rien de ce qu'il sait en échange d'une très confortable rétribution.

    Sitôt de retour, le "trompe-la-mort" est convoqué par le Vatican, intéressé au premier chef par la question. C'est le Souverain Pontife lui-même qui la lui pose : "Alors dîtes-moi, mon fils, Dieu existe-t-il ? "Je suis au regret, Votre Sainteté, car je vous dois la Vérité, de vous confesser que l'au-delà est désespérément vide, et que je n'y ai vu nulle trace de Dieu pas plus qu'ici-bas ! "Bon Dieu", s'exclame le Pape qui se laisse aller à jurer pour la première fois de son existence, je m'en doutais. Si vous tenez à vous assurer une longue vie, à défaut de la vie éternelle, taisez ce que vous savez ; il y va de notre très Sainte Mère l'Eglise et de l'équilibre du monde. Nul n'a intérêt à ce que cela se sache ! Le trésor du Vatican ne souffrira pas trop s'il doit contribuer utilement à apaiser vos scrupules. Notre homme, assuré de son avenir, est à peine étonné, à la sortie du Vatican, d'être récupéré par les services secrets américains : à vrai dire, il s'y attendait. Il est reçu par un obscur secrétaire d'État qui lui fait savoir que la C.I.A est tout à fait informée de ses visites à Rome et à Moscou et qu'en Amérique, l'importance qu'on attache à la question religieuse ne vas pas jusqu'à accepter un chantage, qu'il peut donc dire ce qu'il veut à qui il veut, en d'autres termes "aller au diable" !
    Croyez-vous donc n'avoir vraiment rien à craindre de mes révélations, insiste le "revenant " ?
    Je voudrais bien savoir quoi, répond le fonctionnaire, sûr de lui. Bien, il faut donc que je vous dise : Dieu existe certes. Il existe, je l'ai vu de mes propres yeux, et il est noir.
Sans doute les Américains sont-ils aussi peu disposés aujourd'hui qu'hier à admettre que Dieu pourrait ne pas exister : en matière de religion, Obama lui-même en fait des tonnes ! Les Américians blancs auraient sans doute du mal à prier un Dieu noir, mais enfin, ils ont été capables d'élire un Président noir, ce qui n'est pas si mal. L'aurait-on imaginé il y a 50 ans, et même il y a 10 ans ? L'événement est donc d'importance. Et ce qui importe le plus, c'est que Barack Obama ait été élu, non pas parce qu'il était noir, ni même pas bien qu'il fût noir, mais en dehors du fait qu'il était noir.

Que l'on ne tombe pas pour autant dans le messianisme comme ont tôt fait de s'y précipiter les Américains, suivis incontinent par la foule des médias et, bien entendu des médias français ! Ainsi a-t-on pu entendre qu'Obama ouvrait la voie vers un au-delà du capitalisme, renouant paradoxalement avec le rêve américain perverti par ledit capitalisme : comprenne qui pourra !

Il faut être clair : Obama, comme les autres va tout faire pour sauver à la fois le capitalisme et l'Amérique, et lorsque je dis l'Amérique, je parle, bien entendu, des intérêts américains , pour ruineux que puisse être ce sauvetage pour les autres nations. La crise est partie des Etats-Unis mais les Etats-Unis vont faire en sorte, comme d'habitude, qu'elle soit payée par les autres.

Quant à l'idée qu'il appartiendrait aux Etats-Unis, patrie du capitalisme, de régénérer le capitalisme, elle nous plonge dans une sorte de vision christique du politique. Non, Barack Obama ne rachètera pas les péchés du capitalisme. Et que l'on cesse de nous rebattre les oreilles avec ce "rêve américain" qui a tourné au cauchemar pour tant de peuples dans le monde. Car le "rêve américain", c'est d'abord l'affirmation de la supériorité de l'Amérique, enjoignant à toutes les nations de "rêver comme elle", sans que l'on sache d'ailleurs si c'est à la manière de Martin Luther King ou de Disney.

Obama n'a pas manqué de s'y référer, à ce fameux "rêve" de Luther King !

"Maintenir le rêve
Il y a quatre ans, je me tenais devant vous et je vous racontais mon histoire, celle d’une union brève entre un jeune homme du Kenya et une jeune femme du Kansas qui n’était ni fortunés, ni connus, mais qui partageaient la conviction qu’en Amérique, leur fils pourrait faire ce qu’il aurait en tête, quoi que ce soit.
Cela, c’est la promesse qui distingue ce pays des autres, le fait qu’avec du labeur et du sacrifice, chacun d’entre nous peut poursuivre son rêve individuel, tout en faisant partie d’une grande famille américaine qui assure à la génération suivante la possibilité de poursuivre, elle aussi, ses rêves."
Discours d'investiture de Barack Obama à la Convention du Parti Démocrate, 28 août 2008.

Les ouvriers américains, tous les exclus du système, les "working poors", les chômeurs, savent ce qu'il en est de ce "rêve", que ce n'est rien d'autre qu'un miroir aux alouettes !
Barack Obama reconnaît d'ailleurs que la "promesse" est loin d'avoir été tenue et même qu'au cours des années Bush, elle a été trahie :

"Ce soir, davantage d’Américains sont sans emploi, et davantage d’Américains travaillent plus dur pour gagner moins. Beaucoup, parmi vous, ont perdu leur logement, davantage encore ont vu la valeur de leur logement chuter. Beaucoup, parmi vous, ont des voitures qu’ils n’ont plus les moyens de conduire, des cartes de crédit, des factures qu’ils ne peuvent plus honorer, et des frais scolaires hors de portée de leur bourse (...)
Ce pays vaut mieux qu’un pays dans lequel une femme dans l’Ohio, au bord de la retraite, après une vie de dur labeur, risque le désastre à la moindre maladie.
Nous sommes un pays qui vaut mieux que celui où, un homme dans l’Indiana doit emballer les machines sur lesquelles il travaillait depuis 20 ans, et les voir partir en bâteau vers la Chine, et avoir la gorge serrée en expliquant combien il se sent en échec quand il revient chez lui raconter la nouvelle à sa famille.
"Ce soir, je dis au peuple américain : cela suffit !"

Nul doute que cet homme est intelligent : puisse-t-il être sincère et courageux, car ces paroles sont des paroles de campagne (elles ont été prononcées le 28 août 2008), et l'on se méfie toujours des paroles de campagne. Il reste que Barack Obama a été élu sur la dénonciation du chômage, de la carence des systèmes de protection et de l'école, bref de ce qu'en France on appelle les "services publics". Certains passages de ce discours d'investiture à la convention du parti démocrate devraient troubler notre contre-réformateurs hexagonaux :

Et d'abord cette idée en complète rupture avec l'idéologie néo-conservatrice des Reagan-Bush

"Le gouvernement ne peut pas résoudre tous nos problèmes, mais il doit faire ce que nous ne pouvons pas assurer nous-mêmes : nous protéger de la maladie et fournir à chaque enfant une éducation décente ; conserver une eau propre ; investir dans de nouvelles écoles, de nouvelles routes, la science et la technologie."

D'où ces promesses du candidat Obama :

" J’investirai dans l’éducation au plus jeune âge. Je recruterai une armée de nouveaux enseignants et leur fournirai des salaires élevés et leur accorderai plus de soutien. En échange, j’attendrai d’eux des niveaux élevés et qu’ils aient plus de comptes à rendre.
Et nous tiendrons notre promesse envers chaque jeune Américain : si vous vous engagez à servir votre communauté ou votre pays, nous ferons en sorte que vous puissiez vous permettre l’accès à l’université.
C’est aujourd’hui l’heure de tenir notre promesse d’offrir une couverture médicale accessible et bon marché pour tout Américain.
J’ai vu ma mère se débattre avec les compagnies d’assurance alors qu’elle était alitée en train de mourir d’un cancer. Je ferai en sorte que ces sociétés cessent d’imposer des discriminations à ceux qui sont souffrants et ont le plus besoin de soins.
C’est aujourd’hui qu’il faut aider les familles en introduisant des journées de congé maladie, et de meilleurs congés familiaux, car personne, en Amérique, ne devrait avoir à choisir entre garder son emploi et s’occuper d’un enfant malade ou d’un parent souffrant.
C’est aussi aujourd’hui qu’il nous fait changer les lois sur la faillite, afin de protéger les retraites des bonus des PDG, et qu’il faut protéger la Sécurité sociale des générations futures."

Vous avez bien entendu, Monsieur Darcos :

"recruter une armée de nouveaux enseignants et leur fournir des salaires élevés"
et non pas supprimer des dizaines de milliers de postes et geler les salaires des enseignants

Vous avez bien entendu, Monsieur Bertrand :

"offrir une couverture médicale accessible à tous"
et non pas la livrer aux assurances privées.

Vous avez bien entendu, Madame Bachelot :
"cesser d'imposer des discriminations à ceux qui sont souffrants et qui ont le plus besoin de soins"
et non continuer de supprimer des lits d'hôpitaux par milliers.

Bref, ne voyez-vous pas que vos contre-réformes, vous qui vous réclamez sans cesse du modèle américain, sont "ringardisées" par l'élection de Barack Obama, et qu"elles vont à l'encontre des réformes que lui, propose, qu'il parvienne à les réaliser ou pas, et qui ressemblent davantage à des réformes..

Il y a là, manifestement, une ironie de l'Histoire, ou une ruse de la Raison tout à fait réjouissantes et qui prennent à contre-pied nos libéraux contre-réformateurs.
J'ai dit que ne croyais pas à la capacité des Américains à régénérer le capitalisme, pas plus qu'à celle de Sarkozy à le sauver, pas plus que je ne crois à la vertu auto-régulatrice du capitalisme. Ils vont, bien sûr essayer, comme d'habitude, de le replâtre, de le rafistoler, pour le faire durer encore le plus longtemps possible.

Ne comptons donc pas sur Obama pour inventer un "au-delà du capitalisme" qui incarnerait un idéal de justice et de liberté. D'ailleurs, il a été très clair dans son Discours d'investiture :

"Les générations précédentes ont combattu le fascisme et le communisme (...) Nous sommes les gardiens de cet héritage".

Barack Obama reste fidèle sur ce point à ses prédécesseurs à la maison blanche. Il ne fait aucune différence entre le nazisme et le communisme. Pour lui, le marché reste l'horizon indépassable : "La question qui se pose à nous n'est pas, non plus, de savoir si le marché est une force qui œuvre pour le bien ou pour le mal. Sa capacité à produire de la richesse et à propager la liberté est sans égale". Il pose seulement la nécessité de le contrôler davantage : "cette crise nous a rappelé que si nous ne sommes pas vigilants, le marché peut devenir incontrôlé".

Voilà tout ! Vieux couplet que nous connaissons bien, de ce côté de l'Atlantique, surtout depuis que l'on s'est avisé qu'il fallait sauver le capitalisme.

Nous ne croyons pas, pour notre part, qu'il soit possible de sauver le capitalisme : le capitalisme ne peut être dépassé qu'en étant supprimé. Le seul "au delà du capitalisme", c'est ce qui peut naître de ses ruines une fois qu'il aura succombé à ses contradictions, et c'est le socialisme.



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Monsieur, vous vous laissez également emporter par votre enthousiasme. En effet, le monde se félicite de l'élection de M. Obama, et vous même décrivez ces propositions de campagne en interpellant les Ministres français pour qu'ils appliquent son programme. Mais Barak Obama reste bien le Président des américains, et pas celui des français. La situation et l'état des deux nations est-elle à ce point comparable ?

On connait bien les propositions de campagne, et si M. Sarkosy est le président du pouvoir d'achat, il est fort à parier que M. Obama sera celui de la gratuité de l'éducation pour tous les jeunes américains...Que les propositions de M. Obama s'orientent vers plus de social, plus d'éducation, plus de santé et qu'il soit élu pour ça démontre en partie la volonté du peuple américain de se tourner vers plus d'État. Et c'est cette volonté que vous devriez trouver rafraichissante, plus que ce qui ''risque'' d'être réellement fait.

Les américains ont élu un président noir. Peut-être qu'ils se laisseront tenter par un président communiste dans 4 ans. Allez savoir.

Bernard Berthelot, secrétaire du comité de Saint-Quentin (02) a dit…

Merci pour ce commentaire.

Nous sommes d'accord, pour l'essentiel. J'ajouterai quelques remarques cependant.

j'ai d'abord précisé que je parlerais de Barack Obama avec mesure et prudence. Les attentes du peuple américain sont énormes et, sans vouloir être pessimiste, il faudra à M. Obama beaucoup de courage et de détermination pour les satisfaire : c'est pourquoi j'exprimais quelques inquiétudes, plutôt que de l'enthousiasme.

Dans son Discours d'investiture au Parti démocrate, Obama disait :" A l’Amérique, je dis que l’heure n’est pas aux plans modestes." Dans son Discours d'investiture à la Présidence, il fait remarquer : "Notre système de santé est trop onéreux". Voudrait-il déjà faire des économies ? Voulait-il dire qu'il est trop onéreux pour l'Etat, ou pour les citoyens américains, en particulier pour les ouvriers et pour les travailleurs pauvres ? On verra par ses actes laquelle de ces interprétations est la bonne.


Il est indiscutable que "les propositions de M.Obama s'orientent vers plus de social, vers plus d'éducation, vers plus de santé". Il est tout aussi incontestable que les Américains l'ont élu pour cela et qu'ils expriment une volonté de plus d'État". Et, comme vous, je trouve cette volonté "rafraichissante". Je déplore seulement que non dirigeants aient choisi la voie opposée : moins de social, moins d'éducation, moins d'État. En effet, la France n'est pas l'Amérique ! C'est ce que je voulais exprimer en interpelant les ministres français : je ne me fais guère d'illusions sur le contenu des "réformes" qu'ils continuent de nous asséner, et je ne vois pas que l'élection de Barack Obama aux Etats-Unis puisse y changer quelque chose.

Une dernière remarque : puisse ce Président être celui de l'éducation gratuite pour tous les jeunes Américains : j'en accepte l'augure. Main non,trois fois non, M. Sarkozy n'est pas, comme il voudrait bien le faire croire le "Président du pouvoir d'achat. On verra bientôt, hélas, à quel point il est le Président de la baisse du pouvoir d'achat.