Réforme
Qui est maître des mots est maître des idées. Perdre la bataille des mots, c'est perdre la bataille des idées. C'est à partir du constat que la gauche a commencé de perdre, depuis le début des années 80, la bataille des idées en se laissant déposséder de ses propres mots, que nous avons formé le projet d'un travail critique seul capable de reprendre possession des mots perdus, devenus des pièges pour le combat ouvrier. Le mot "réforme" est le premier de ces mots piégés, dont la droite use et abuse pour imposer sa politique.
Le mot "réforme" a en principe une valeur positive, puisqu'il désigne une amélioration apportée dans le domaine moral ou social, donc par définition un changement favorable. Ce mot trouve son usage principal dans le domaine institutionnel où il désigne, selon le "Petit Robert", "le changement profond apporté dans la forme d'une institution afin de l'améliorer, d'en obtenir de meilleurs résultats". Le "Petit Robert" cite comme exemples les "réforme du calendrier; de l'orthographe" ; la "réforme agraire" ; la "réforme de la Constitution". Apparemment, le terme ainsi utilisé ne prête guère à polémiques ; c'est lorsque, en relation avec le réformisme, il renvoie à l'idée d'une amélioration progressive de l'ordre social qu'il commence à faire problème.
En effet, le réformiste, comme le révolutionnaire, est un homme qui ne se satisfait pas de l'ordre existant et qui veut le changer pour le rendre meilleur. C'est ce projet de transformation sociale qui l'oppose aux conservateurs, convaincus de la supériorité d'un ordre social immuable, que tout changement viendrait perturber et dégrader. Le XIXe siècle a connu l'affrontement du "parti de l'ordre" contre le "parti du mouvement" : le "parti de l'ordre" était composé de conservateurs catholiques, souvent monarchistes ; le "parti du mouvement" était laïque et républicain, adepte du progrès et des réformes sociales. Cette opposition va marquer durablement l'histoire politique moderne caractérisée par la lutte entre une droite conservatrice, campée sur la défense de l'ordre établi et une gauche réformatrice et progressiste, d'où l'équation : droite = ordre, conservatisme, immobilisme ; gauche = mouvement, réforme, progrès. La gauche, en effet, s'est employée, tout au long du XIXe siècle, et au XXe siècle, jusqu'à la fin des années 60, à réformer la société, convaincue d'aller ainsi dans le sens du progrès, et de l'Histoire, contre une droite réactionnaire, hostile à tout changement et à tout progrès social. Ces équivalences entre réforme et progrès, gauche et mouvement, droite et réaction étaient tellement conformes à l'histoire récente qu'elles avaient fini par par s'imposer comme naturelles et inamovibles.
C'était un temps où il n'était pas glorieux d'être de droite, parce qu'il n'était pas flatteur d'être réputé conservateur, ancré dans l'immobilisme, alors qu'il était plus gratifiant d'être reconnu comme un être ouvert à la nouveauté, tourné vers l'avenir, bref un homme de progrès. Il était alors plutôt dans l'air du temps d'être à gauche que d'être à droite.
C'est ce qu'a compris la droite au tournant des années 70, lorsqu'elle a entrepris de changer, non pas sa politique, mais son image, en lui attachant tout ce qui avait fait le prestige de la gauche : et elle s'appuiera paradoxalement sur la "révolution culturelle" de mai 68 pour redorer son blason, allant jusqu'à lui emprunter certains de ses slogans. De Gaulle est encore l'homme de la tradition, Giscard aime à se montrer comme un homme de changement et de progrès. La droite, jusqu'en 68, craint le changement : De Gaulle, pendant les "événements de mai" avait concédé, du bout des dents : "La réforme, oui ; la chienlit non !". Mai a mis plus que jamais sur le devant de la scène les idées de réforme, et de changement. La droite va alors se convertir à ces idées et les mettre à son catalogue, avec prudence d'abord, et de manière de plus en plus marquée. Giscard parle d'abord de "changement dans la continuité", en insistant sut la continuité pour ne pas effrayer son électorat le plus traditionnel, avant de reléguer, dans son discours, la continuité au profit du changement et, bien sûr la réforme. En 1981, c'est Mitterrand qui, pour rassurer l' électorat frileux qui assimilait encore la gauche socialiste à la révolution, se devait de faire oublier la "rupture avec le capitalisme" en incarnant "la force tranquille". Dans le même temps que la droite s'approprie le vocabulaire et les valeurs de la gauche, elle en exproprie la gauche qui se prête au jeu en revêtant les oripeaux de la France éternelle et des valeurs de droite.
Pour rependre à son compte le flambeau du changement et de la réforme, la droite va devoir dans le même temps imposer l'idée que c'est la gauche qui est conservatrice, voire réactionnaire parce qu' hostile aux "réformes". C'est la gauche qui lui a tendu la première perche : l'affiche de campagne de Mitterrand "la force tranquille" renvoie à l'image de la France villageoise ancrée dans la tradition. Foin de la "rupture avec le capitalisme", il s'agit de renouer avec un passé rassurant. Tournant décisif : la gauche se drape avec cette affiche dans l'image du conservatisme. Il y a bien loin de "la liberté guidant le peuple" de Delacroix à la France plan-plan de Séguéla, l'auteur de l'affiche du candidat Mitterrand ! On dira que ce n'est qu'une image, et que je tire des conséquences exorbitantes de cette affiche. Ce serait oublier que dans le même temps on est entré dans la "civilisation de l'image", c'est-à-dire dans un monde où l'image importe plus que le concept. Ce que l'on nomme la "société de communication" est en fait un monde où l'essentiel se joue dans le subliminal : ce n'est pas un hasard si les communicants d'alors sont devenus les publicitaires, et si la politique est devenue une affaire de commmunication !
Il restera, pour imposer la nouvelle équation : gauche = conservatisme = immobilisme, à trouver un moyen terme : ce sera celui de "corporatisme", par lequel on reprochera aux syndicats ouvriers de rester figés sur la défense d'intérêts catégoriels et, par cela, hostiles à toutes réformes. On n'oubliera pas à ce sujet les diatribes de Claude Allègre sur l'éducation nationale, ce "mammouth" réfractaire aux réformes et au ... "dégraissage". Mais l'on dira que Claude Allègre était le ministre de gauche d'un gouvernement de gauche. C'est bien là où le bât blesse : le discours de Claude Allègre était de bout en bout un discours de droite ; plus, il a ouvert la voie à tous les réformateurs de droite qui s'engouffreront dans la voie qu'il avait ouverte. Pour tout dire, et on le voit bien aujourd'hui, Claude Allègre était déjà un homme de droite. On voit comment la gauche, avec de tels hommes, a perdu son âme, s'est discréditée et a ouvert un boulevard à la droite. Pis, elle a dégoûté son propre électorat de la politique et elle s'est discréditée en discréditant la politique. Jospin, qui a pourtant payé le prix fort, ne semble pas l'avoir compris.
La gauche avait pendant des décennies persuadé son électorat, et au delà de son électorat un grand nombre de "progressistes" que ce qu'il fallait, c'était des réformes : les partis de gauche se sont longtemps présentés comme des partis du changement et de la réforme. Et il est vrai que, dans les brefs moments où ils sont parvenus au pouvoir, ils ont réalisé un certain nombre de réformes essentielles : le front populaire bien sûr, avec la semaine de 40 heures, les congés payés, les conventions collectives. Le conseil de la résistance ensuite, installé par De Gaulle en 1943, quil rassemblait les principaux partis politiques, de la SFIO aux Démocrates Chrétiens, des Communistes à la Droite Républicaine. La CGT communiste et la CFTC chrétienne en faisaient également partie. Ce conseil élabore un programme qui sera appliqué par les premiers gouvernements après la libération et qui jette les bases du modèle social français : la sécurité sociale, les retraites, la nationalisation du crédit, de l'énergie et des infrastructures. Or ces réformes, qui ont été arrachées au patronat, et qui marquaient une avancée considérable sur le terrain de la lutte de classe, n'ont jamais été acceptées par le patronat dont le programme, inavoué pendant longtemps, clairement revendiqué depuis peu, a été de les supprimer.
Denis Kessler, ancien numéro 2 du Medef et idéologue de cette organisation le dit on ne peut plus clairement : "Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie."
Ce qui doit être souligné dans ce propos de Kessler, ce n'est pas seulement qu'il dévoile de la manière la plus cynique le véritable projet du patronat : en finir avec le modèle social français, issu du Conseil national de la Résistance, c'est l'usage qu'il fait du terme de "réforme". Lorsqu'il dit que le "gouvernement "s'emploie à réformer le modèle social français", il dit tout simplement qu'il s'emploie à le détruire. La nouvelle équation devient : réformer= détruire . Le dictionnaire est pris ici à contre-pied : il ne s'agit plus d'améliorer ou de rendre plus efficace, mais de briser, de démolir, d'anéantir. Ainsi "réformer le système de santé", c'est fermer des hôpitaux et des maternités, c'est supprimer des lits ; "réformer la sécurité sociale", c'est tourner le dos aux principes de 1945 qui la fondaient pour l'aligner sur les assurances privées et, à terme, la leur livrer (c'est à XavierBertrand, l'homme des assurances privées que l'on a d'abord confié cette tâche) ; "réformer" le système des retraites, c'est abandonner le principe de solidarité qui fondait le retraite par répartition pour lui substituer le principe individualiste et libéral de retraite par capitalisation. Kessler donne le sens exact des "réformes" gouvernementales :
"(...) il y a une profonde unité à ce programme ambitieux de réformes. C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception (...) Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! "
"Réformer", on l'aura bien compris, c'est donc, selon le dictionnaire kesslerien, ou selon le "Petit Medef", défaire méthodiquement les réformes antérieures, toutes celles qui marquaient des avancées pour le mouvement ouvrier ; ce ne sont pas des réformes progressistes, ce sont des réformes régressives et rétrogrades : à un pléonasme, on a substitué un oxymore. Une "réforme progressiste", c'est un pléonasme, puisque normalement, réforme signifie progrès. "Réforme rétrograde" est un oxymore puisque les deux mots sont totalement incompatibles. On comprend que le poète parle de cette "obscure clarté qui tombe des étoiles" : c'est une image poétique. Mais parler de "révolution conservatrice", comme on l'a fait pour les politiques de Reagan et de Thatcher, c'est une absurdité. De même, parler de "réformes " pour toutes ces actions qui portent atteinte au droit du travail, aux conventions collectives, à la sécurité sociale de 1945, aux retraites, aux services publics, à la laïcité, bef à tout ce qui définit le modèle social français et le pacte républicain, c'est une absurdité.
Voilà comment le gouvernement Sarkozy justifie sa frénésie de "réformes" : il s'agit en réalité d'en finir au plus vite et une bonne fois avec toutes les conquêtes du mouvement ouvrier qui avaient été arrachées au patronat au prix de lourds sacrifices et de luttes acharnées. Et il prétend avoir été mandaté pour cela ! Il joue impudemment avec le mot "réforme", comptant sur ce que ce mot peut avoir conservé de positif pour faire avaler la pilule de mesures qui n'ont rien à voir avec des réformes, mais qui en sont la négation pure et simple.
La mystification est grossière, mais les habitudes de langage sont résistantes. Il est difficile d'éviter que le mot "réforme", même lorsqu'il est employé à contre-sens, ne soit entendu avec bienveillance par un grand nombre de Français, et surtout, on a vu pourquoi, lorsqu'ils sont de gauche. Ils se sont laissé convaincre que tout était préférable au statu quo et qu'aucune mesure, dès lors qu'elle pouvait être désignée comme une réforme ne pouvait être tout à fait mauvaise. Il est à remarquer qu'il n'est même plus nécessaire, lorsqu'on parle aujourd'hui de réformes, de préciser lesquelles. Il faut des réformes, point c'est tout ! Quoiqu'il arrive, les réformes devront être poursuivies, et même accélérées ! C'est le progrès qui le veut ainsi, et le progrès, c'est l'Europe, c'est la mondialisation ! Il faudra enfin montrer que la France n'est pas absolument réfractaire aux réformes, que la France n'est pas impossible à réformer ! Il faudra donc, au nom du progrès, défaire méthodiquement tout ce qui a été fait, démanteler le droit du travail, en finir avec les retraites par répartition, avec la sécurité sociale, etc... Evidemment, on ne le dit jamais ainsi. On prétendra au contraire que l'on veut, par ces "réformes" sauver la sécurité sociale, les retraites, le système de santé, etc. !
Il faut en finir avec cette hypocrisie. Et pour cela éviter, au moins dans l'état actuel des choses, d'utiliser le terme de réformes, à moins qu'on ait le courage de dire "NON AUX REFORMES", au risque de passer pour conservateur et réactionnaire. On voit bien l'embarras dans lequel on se trouve alors, et le terme parfois utilisé de "contre-réforme" en est le symptôme. Ce terme est tout à fait justifié, mais il présente l'inconvénient, outre sa référence historique, de contenir encore le terme de "réforme". Il faudrait, autant que possible, éviter ce mot "réforme" qui est devenu un véritable piège et manifester qu'à chaque fois que l'on nous parle aujourd'hui de "réformes", il s'agit de réformes régressives, de réformes à rebours, de réformes rétrogrades, ou si l'on veut, de rétroréformes. Il me semble que la situation justifierait, s'il pouvait être utilisé comme une arme de guerre, l'adoption de ce néologisme. Les rétroréformes de Sarkozy, Fillon, Bertrand, etc. , car il faudrait interdire à ces gens-là de parler de réformes, ou lorsqu'ils ont l'impudence de le faire, les tourner en dérision. Pourquoi alors ne pas ajouter le mot rétroréformes au dictionnaire, ou un autre de même inspiration, qui permette de lever tout malentendu et d'éviter le piège ?
Le mot "réforme" a en principe une valeur positive, puisqu'il désigne une amélioration apportée dans le domaine moral ou social, donc par définition un changement favorable. Ce mot trouve son usage principal dans le domaine institutionnel où il désigne, selon le "Petit Robert", "le changement profond apporté dans la forme d'une institution afin de l'améliorer, d'en obtenir de meilleurs résultats". Le "Petit Robert" cite comme exemples les "réforme du calendrier; de l'orthographe" ; la "réforme agraire" ; la "réforme de la Constitution". Apparemment, le terme ainsi utilisé ne prête guère à polémiques ; c'est lorsque, en relation avec le réformisme, il renvoie à l'idée d'une amélioration progressive de l'ordre social qu'il commence à faire problème.
En effet, le réformiste, comme le révolutionnaire, est un homme qui ne se satisfait pas de l'ordre existant et qui veut le changer pour le rendre meilleur. C'est ce projet de transformation sociale qui l'oppose aux conservateurs, convaincus de la supériorité d'un ordre social immuable, que tout changement viendrait perturber et dégrader. Le XIXe siècle a connu l'affrontement du "parti de l'ordre" contre le "parti du mouvement" : le "parti de l'ordre" était composé de conservateurs catholiques, souvent monarchistes ; le "parti du mouvement" était laïque et républicain, adepte du progrès et des réformes sociales. Cette opposition va marquer durablement l'histoire politique moderne caractérisée par la lutte entre une droite conservatrice, campée sur la défense de l'ordre établi et une gauche réformatrice et progressiste, d'où l'équation : droite = ordre, conservatisme, immobilisme ; gauche = mouvement, réforme, progrès. La gauche, en effet, s'est employée, tout au long du XIXe siècle, et au XXe siècle, jusqu'à la fin des années 60, à réformer la société, convaincue d'aller ainsi dans le sens du progrès, et de l'Histoire, contre une droite réactionnaire, hostile à tout changement et à tout progrès social. Ces équivalences entre réforme et progrès, gauche et mouvement, droite et réaction étaient tellement conformes à l'histoire récente qu'elles avaient fini par par s'imposer comme naturelles et inamovibles.
C'était un temps où il n'était pas glorieux d'être de droite, parce qu'il n'était pas flatteur d'être réputé conservateur, ancré dans l'immobilisme, alors qu'il était plus gratifiant d'être reconnu comme un être ouvert à la nouveauté, tourné vers l'avenir, bref un homme de progrès. Il était alors plutôt dans l'air du temps d'être à gauche que d'être à droite.
C'est ce qu'a compris la droite au tournant des années 70, lorsqu'elle a entrepris de changer, non pas sa politique, mais son image, en lui attachant tout ce qui avait fait le prestige de la gauche : et elle s'appuiera paradoxalement sur la "révolution culturelle" de mai 68 pour redorer son blason, allant jusqu'à lui emprunter certains de ses slogans. De Gaulle est encore l'homme de la tradition, Giscard aime à se montrer comme un homme de changement et de progrès. La droite, jusqu'en 68, craint le changement : De Gaulle, pendant les "événements de mai" avait concédé, du bout des dents : "La réforme, oui ; la chienlit non !". Mai a mis plus que jamais sur le devant de la scène les idées de réforme, et de changement. La droite va alors se convertir à ces idées et les mettre à son catalogue, avec prudence d'abord, et de manière de plus en plus marquée. Giscard parle d'abord de "changement dans la continuité", en insistant sut la continuité pour ne pas effrayer son électorat le plus traditionnel, avant de reléguer, dans son discours, la continuité au profit du changement et, bien sûr la réforme. En 1981, c'est Mitterrand qui, pour rassurer l' électorat frileux qui assimilait encore la gauche socialiste à la révolution, se devait de faire oublier la "rupture avec le capitalisme" en incarnant "la force tranquille". Dans le même temps que la droite s'approprie le vocabulaire et les valeurs de la gauche, elle en exproprie la gauche qui se prête au jeu en revêtant les oripeaux de la France éternelle et des valeurs de droite.
Pour rependre à son compte le flambeau du changement et de la réforme, la droite va devoir dans le même temps imposer l'idée que c'est la gauche qui est conservatrice, voire réactionnaire parce qu' hostile aux "réformes". C'est la gauche qui lui a tendu la première perche : l'affiche de campagne de Mitterrand "la force tranquille" renvoie à l'image de la France villageoise ancrée dans la tradition. Foin de la "rupture avec le capitalisme", il s'agit de renouer avec un passé rassurant. Tournant décisif : la gauche se drape avec cette affiche dans l'image du conservatisme. Il y a bien loin de "la liberté guidant le peuple" de Delacroix à la France plan-plan de Séguéla, l'auteur de l'affiche du candidat Mitterrand ! On dira que ce n'est qu'une image, et que je tire des conséquences exorbitantes de cette affiche. Ce serait oublier que dans le même temps on est entré dans la "civilisation de l'image", c'est-à-dire dans un monde où l'image importe plus que le concept. Ce que l'on nomme la "société de communication" est en fait un monde où l'essentiel se joue dans le subliminal : ce n'est pas un hasard si les communicants d'alors sont devenus les publicitaires, et si la politique est devenue une affaire de commmunication !
Il restera, pour imposer la nouvelle équation : gauche = conservatisme = immobilisme, à trouver un moyen terme : ce sera celui de "corporatisme", par lequel on reprochera aux syndicats ouvriers de rester figés sur la défense d'intérêts catégoriels et, par cela, hostiles à toutes réformes. On n'oubliera pas à ce sujet les diatribes de Claude Allègre sur l'éducation nationale, ce "mammouth" réfractaire aux réformes et au ... "dégraissage". Mais l'on dira que Claude Allègre était le ministre de gauche d'un gouvernement de gauche. C'est bien là où le bât blesse : le discours de Claude Allègre était de bout en bout un discours de droite ; plus, il a ouvert la voie à tous les réformateurs de droite qui s'engouffreront dans la voie qu'il avait ouverte. Pour tout dire, et on le voit bien aujourd'hui, Claude Allègre était déjà un homme de droite. On voit comment la gauche, avec de tels hommes, a perdu son âme, s'est discréditée et a ouvert un boulevard à la droite. Pis, elle a dégoûté son propre électorat de la politique et elle s'est discréditée en discréditant la politique. Jospin, qui a pourtant payé le prix fort, ne semble pas l'avoir compris.
La gauche avait pendant des décennies persuadé son électorat, et au delà de son électorat un grand nombre de "progressistes" que ce qu'il fallait, c'était des réformes : les partis de gauche se sont longtemps présentés comme des partis du changement et de la réforme. Et il est vrai que, dans les brefs moments où ils sont parvenus au pouvoir, ils ont réalisé un certain nombre de réformes essentielles : le front populaire bien sûr, avec la semaine de 40 heures, les congés payés, les conventions collectives. Le conseil de la résistance ensuite, installé par De Gaulle en 1943, quil rassemblait les principaux partis politiques, de la SFIO aux Démocrates Chrétiens, des Communistes à la Droite Républicaine. La CGT communiste et la CFTC chrétienne en faisaient également partie. Ce conseil élabore un programme qui sera appliqué par les premiers gouvernements après la libération et qui jette les bases du modèle social français : la sécurité sociale, les retraites, la nationalisation du crédit, de l'énergie et des infrastructures. Or ces réformes, qui ont été arrachées au patronat, et qui marquaient une avancée considérable sur le terrain de la lutte de classe, n'ont jamais été acceptées par le patronat dont le programme, inavoué pendant longtemps, clairement revendiqué depuis peu, a été de les supprimer.
Denis Kessler, ancien numéro 2 du Medef et idéologue de cette organisation le dit on ne peut plus clairement : "Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie."
Ce qui doit être souligné dans ce propos de Kessler, ce n'est pas seulement qu'il dévoile de la manière la plus cynique le véritable projet du patronat : en finir avec le modèle social français, issu du Conseil national de la Résistance, c'est l'usage qu'il fait du terme de "réforme". Lorsqu'il dit que le "gouvernement "s'emploie à réformer le modèle social français", il dit tout simplement qu'il s'emploie à le détruire. La nouvelle équation devient : réformer= détruire . Le dictionnaire est pris ici à contre-pied : il ne s'agit plus d'améliorer ou de rendre plus efficace, mais de briser, de démolir, d'anéantir. Ainsi "réformer le système de santé", c'est fermer des hôpitaux et des maternités, c'est supprimer des lits ; "réformer la sécurité sociale", c'est tourner le dos aux principes de 1945 qui la fondaient pour l'aligner sur les assurances privées et, à terme, la leur livrer (c'est à XavierBertrand, l'homme des assurances privées que l'on a d'abord confié cette tâche) ; "réformer" le système des retraites, c'est abandonner le principe de solidarité qui fondait le retraite par répartition pour lui substituer le principe individualiste et libéral de retraite par capitalisation. Kessler donne le sens exact des "réformes" gouvernementales :
"(...) il y a une profonde unité à ce programme ambitieux de réformes. C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception (...) Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! "
Challenges, 4 octobre 2007
"Réformer", on l'aura bien compris, c'est donc, selon le dictionnaire kesslerien, ou selon le "Petit Medef", défaire méthodiquement les réformes antérieures, toutes celles qui marquaient des avancées pour le mouvement ouvrier ; ce ne sont pas des réformes progressistes, ce sont des réformes régressives et rétrogrades : à un pléonasme, on a substitué un oxymore. Une "réforme progressiste", c'est un pléonasme, puisque normalement, réforme signifie progrès. "Réforme rétrograde" est un oxymore puisque les deux mots sont totalement incompatibles. On comprend que le poète parle de cette "obscure clarté qui tombe des étoiles" : c'est une image poétique. Mais parler de "révolution conservatrice", comme on l'a fait pour les politiques de Reagan et de Thatcher, c'est une absurdité. De même, parler de "réformes " pour toutes ces actions qui portent atteinte au droit du travail, aux conventions collectives, à la sécurité sociale de 1945, aux retraites, aux services publics, à la laïcité, bef à tout ce qui définit le modèle social français et le pacte républicain, c'est une absurdité.
Voilà comment le gouvernement Sarkozy justifie sa frénésie de "réformes" : il s'agit en réalité d'en finir au plus vite et une bonne fois avec toutes les conquêtes du mouvement ouvrier qui avaient été arrachées au patronat au prix de lourds sacrifices et de luttes acharnées. Et il prétend avoir été mandaté pour cela ! Il joue impudemment avec le mot "réforme", comptant sur ce que ce mot peut avoir conservé de positif pour faire avaler la pilule de mesures qui n'ont rien à voir avec des réformes, mais qui en sont la négation pure et simple.
La mystification est grossière, mais les habitudes de langage sont résistantes. Il est difficile d'éviter que le mot "réforme", même lorsqu'il est employé à contre-sens, ne soit entendu avec bienveillance par un grand nombre de Français, et surtout, on a vu pourquoi, lorsqu'ils sont de gauche. Ils se sont laissé convaincre que tout était préférable au statu quo et qu'aucune mesure, dès lors qu'elle pouvait être désignée comme une réforme ne pouvait être tout à fait mauvaise. Il est à remarquer qu'il n'est même plus nécessaire, lorsqu'on parle aujourd'hui de réformes, de préciser lesquelles. Il faut des réformes, point c'est tout ! Quoiqu'il arrive, les réformes devront être poursuivies, et même accélérées ! C'est le progrès qui le veut ainsi, et le progrès, c'est l'Europe, c'est la mondialisation ! Il faudra enfin montrer que la France n'est pas absolument réfractaire aux réformes, que la France n'est pas impossible à réformer ! Il faudra donc, au nom du progrès, défaire méthodiquement tout ce qui a été fait, démanteler le droit du travail, en finir avec les retraites par répartition, avec la sécurité sociale, etc... Evidemment, on ne le dit jamais ainsi. On prétendra au contraire que l'on veut, par ces "réformes" sauver la sécurité sociale, les retraites, le système de santé, etc. !
Il faut en finir avec cette hypocrisie. Et pour cela éviter, au moins dans l'état actuel des choses, d'utiliser le terme de réformes, à moins qu'on ait le courage de dire "NON AUX REFORMES", au risque de passer pour conservateur et réactionnaire. On voit bien l'embarras dans lequel on se trouve alors, et le terme parfois utilisé de "contre-réforme" en est le symptôme. Ce terme est tout à fait justifié, mais il présente l'inconvénient, outre sa référence historique, de contenir encore le terme de "réforme". Il faudrait, autant que possible, éviter ce mot "réforme" qui est devenu un véritable piège et manifester qu'à chaque fois que l'on nous parle aujourd'hui de "réformes", il s'agit de réformes régressives, de réformes à rebours, de réformes rétrogrades, ou si l'on veut, de rétroréformes. Il me semble que la situation justifierait, s'il pouvait être utilisé comme une arme de guerre, l'adoption de ce néologisme. Les rétroréformes de Sarkozy, Fillon, Bertrand, etc. , car il faudrait interdire à ces gens-là de parler de réformes, ou lorsqu'ils ont l'impudence de le faire, les tourner en dérision. Pourquoi alors ne pas ajouter le mot rétroréformes au dictionnaire, ou un autre de même inspiration, qui permette de lever tout malentendu et d'éviter le piège ?
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