Betancourt : réaction à chaud.









Une bien belle histoire.


C'est celle que l'on nous raconte aujourd'hui sur les ondes et sur les antennes, dans les quotidiens et dans les magazines où bientôt la force des mots va s'effacer derrière le choc des photos. Cette histoire, personne aujourd'hui ne peut plus l'ignorer et, au lendemain de la libération d'Ingrid Betancourt, il serait sans doute malséant de jouer les trouble-fêtes et les rabat-joies. Place à la fête, donc (la fête du bonheur, pensez-donc), et place à la joie.

Cela étant dit, rien n'empêche de prendre ses distances avec le "politiquement correct" et l'unanimisme qui triomphe aujourd'hui, car il y a bien des aspects choquants dans la manière dont les medias rapportent cette information et bien des zones d'ombre.

Tout d'abord, la comparaison entre les deux photos ci dessus : Ingrid Betancourt dans la jungle colombienne et Ingrid Betancourt qui vient d'être libérée, est frappante. On s'attendait à voir une femme usée par la captivité et la maladie (ne l'a-t-on pas dite mourante ?), on voit une femme apparemment en bonne santé et dans une forme étonnante. Tant mieux : on ne peut que s'en réjouir. Mais on ne peut éviter de se demander si "on ne nous a pas raconté des histoires". Certes, Ingrid Becancourt a pu être malade ; elle l'a sans doute été, puisque c'est elle-même qui le dit. Certes, la dramatisation de son état de santé obéissait peut-être à des raisons tactiques en vue de sa libération, mais cette dramatisation, pour autant qu'elle ait effectivement favorisé sa libération, ce qui n'est pas prouvé, a servi et sert plus que jamais les médias. L'hypermédiatisation de cette libération donnerait même à penser que l'actualité se réduit à ce ce seul événement. En l'espèce, ce n'est pas seulement la hiérarchisation des informations qui est en cause, mais leur réduction à un événement unique.

Ce qui frappe encore, c'est l'extrême "pipolisation" de la presse et des médias . Un exemple, à la une de l'édition électronique du Figaro :

Le "Figaro", et il n'est pas le seul, joue à fond sur l'affectif et sur l'intime, puisqu'il donne à voir les retrouvailles pathétiques d'Ingrid Betancourt et des siens, comme si on y était. Il n'hésite pas à faire de ses lecteurs des voyeurs. Le "choc de photos" ne suffit même plus aujourd'hui, il faut de l'image vivante, il faut de la chair et des larmes, de l'émotion en direct. Ces images vidéo que le "Figaro" invite à retrouver sur son site, et dont il invite le lecteur à se repaître en ligne, ont déjà été largement diffusées sur toutes les chaînes de télévision, tant publiques que privées, mais qu'importe, il faut que personne, par négligence ou distraction, ne puisse passer à côté. A Bogota comme si vous y étiez, par le petit trou de la serrure, et par le petit bout de la lorgnette ! Bien sûr, c'est là l'apparence : l'intimité est savamment mise en scène, et c'est le troisième aspect de cette actualité : la scénérisation, la "mise en histoire", et il faut que l'histoire soit belle, dramatique, pathétique, et qu'elle se termine bien. Comme dit Renaut dans une autre chanson que celle qu'il a consacrée à Ingrid Betancourt : "J'aime pas les histoires où le héros il meurt à la fin".

Bref, ce qui importe aujourd'hui, c'est la "mise en récit", comme finalité ultime du journalisme et de la politique, ce qui revient à la négation pure et simple du politique par le journalisme. Qu'importe l'histoire et l'actualité politique de la Colombie, dans sa complexité. Tout va bien, si Ingrid est libérée, et si elle peut embrasser ses enfants. Qu'importe l'histoire réelle de sa captivité et les circonstances exactes de sa libération, s'il suffit de mettre en récit cette "miraculeuse" providence que seule une visite au Pape Benoit XVI serait de nature à couronner adéquatement. Enfin, peu importe l'influence exacte de l'action de Sarkozy, et la part de ce qui revient à la voie diplomatique et à l'opération militaire supervisée de part en part par Les Israéliens et les Américains. Nous sommes ici dans le registre du magique et l'expression incantatoire d'une volonté suffit : on sait que notre Président s'en est fait une spécialité.

Ce qui importe vraiment dans cette libération, ce n'est pas ce qu'on nous montre : c'est le bénéfice que peuvent en tirer les uns et les autres, bénéfice médiatique et politique : Uribé, Sarkozy ? Une simple photo, parue dans "Le Monde" du 4 juillet, fournit un bon élément de réponse. Bush, McCain, qui a rencontré Uribe et son ministre de la défense en Colombie au moment de l'opération, autrement dit le camp républicain ? Bref, si l'on peut se réjouir de la libération d'Ingrid Betancourt, cela ne justifie pas que l'on doive ignorer les enjeux politiques et idéologiques de l'opération.

Et surtout, eu égard au matraquage médiatique, on doit malheureusement constater que les médias officiels, en empruntant l'essentiel de leurs procédés à la presse "people", sont tombés à un niveau de médiocrité jamais atteint. Cela promet de beaux jours !


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