Politique fiction

Lecture de vacances

Qu'il n'y ait aucun malentendu : je n'ai pas l'intention, comme nombre de "bloggers", d'émailler mon propos de remarques personnelles sur mes lectures ou sur ma vie personnelle. Ce blog est le blog du POI et je n'ai a priori aucune raison d'y parler de mes lectures de vacances, d'autant que je m'étais offert le luxe à cette occasion de ne m'adonner qu'à des lectures récréatives, genre polars...

Mais il semble que dans les temps qui courent il ne soit pas aussi facile de se vider la tête. Dans un ouvrage aussi "décalé" et réjouissant" que celui que j'avais choisi, un peu par hasard en me fiant au quatrième de couverture, je ne m'attendais pas à être ramené à mes préoccupations quotidiennes. Et pourtant, dans la nouvelle qui suit, pastiche assez désopilant de Conan Doyle, on peut trouver de quoi alimenter une réflexion politique : on y voit comment l'on peut compter sur le célèbre détective Sherlock Holmes pour apporter les éléments de réponse à des questions aussi difficiles que : pourquoi Sarkozy, pourquoi Bush, pourquoi Berlusconi, et tutti quanti ?

Et pourquoi les électeurs continuent-ils de voter, alors même qu'ils ont conscience du peu de valeur de leur bulletin de vote. Voici quelques extraits de cette nouvelle, afin qu'en cette rentrée morose, la pensée politique s'offre la distance d'un sourire.

L'Aventure de l'électeur mécontent

Mon cher ami Sherlock Holmes se trouvait dans son appartement de Baker Street. Assis face à la cheminée, il scrutait les flammes du regard avec une intensité que j'aurais trouvée inquiétante chez le commun des mortels. De temps à autre, il tirait nonchalamment sur sa pipe, et lorsque celle-ci était presque éteinte, il vidait le fourneau de ses cendres puis le remplissait avec le petit tas de tabac posé en vrac sur la table.
« Rien n'est plus contraire à la nature humaine que la platitude du quotidien », déclara-t-il.
Je priai le ciel pour qu'un événement inhabituel se produisît et sortît ainsi mon honorable collègue de sa torpeur. Et à ma grande surprise, car j'étais un homme de science et de peu de foi, mon vœu fut exaucé.
« Ah, dis-je, entendant un son ténu mais caractéristique. On sonne à votre porte.
- Mon cher Watson », répondit Holmes, impassible, « vous avez absolument raison. Je me demande parfois pourquoi vous avez choisi la médecine alors que vous auriez très bien pu devenir détective.» Quelques instants plus tard, des bruits de pas résonnèrent dans le corridor, puis on frappa à la porte. Holmes tendit l'un de ses longs bras et poussa la lampe vers la chaise vide réservée à notre visiteur. « Entrez! » dit-il.
L'homme qui pénétra dans la pièce était d'âge mûr.
La cinquantaine passée, il conservait un physique alerte, bien que plus corpulent qu'il ne l'aurait peut-être souhaité. Il était habillé et coiffé convenablement, avec soin et souci du détail, mais sans véritable raffinement. Un homme d'origine modeste qui avait probablement fait son petit bout de chemin dans ce monde matériel. Il regardait calmement autour de lui, éclairé par la lumière éblouissante de la lampe, et je remarquai alors son visage rond et ses bajoues qui lui conféraient des airs de vieux bouledogue affectueux.
« Je viens vous demander conseil, dit-il.
- Cela s'obtient facilement, répondit Holmes (…)
Coleshaw sortit de la poche de son manteau un morceau de papier blanc pas plus grand qu'une carte postale, puis il le posa brusquement sur la table à côté de Holmes, dérangeant ainsi légèrement le petit tas de tabac. Holmes prit sa loupe et examina la chose avec la plus grande attention. « Il s'agit, me semble-t-il, d'un bulletin de vote de la municipalité de Londres, district de Hackney, circonscription de Haggersham. Il concerne des élections législatives qui auront lieu dans cinq jours, et il est encore vierge. Aurions-nous affaire à une contrefaçon, peut-être à une liasse de faux papiers que vous auriez trouvée par hasard ?
- Rien de tout cela, monsieur Holmes, c'est un véritable bulletin de vote, répondit Coleshaw.
- Puis-je donc savoir quel problème vous amène ici?
Ce bulletin a été dépossédé de sa valeur. »
Holmes resta assis, le front plissé sous l'effet de la concentration.
« Je vois, dit-il. Ce bulletin a moins de valeur qu'on ne pourrait le croire. Il a perdu de son pouvoir, pour ainsi dire. Et, savez-vous qui est responsable de cette escroquerie?
- Non, monsieur Holmes. J'espérais que vous trouveriez le coupable.
- Ou les coupables. Grands dieux! Eh bien, voilà en effet une petite énigme des plus singulières. Ayant un peu de temps libre, je puis peut-être me pencher sur la question. Et je crois connaître la façon idoine dont nous devons procéder. Docteur Watson, auriez-vous l'obligeance d'appeler un cabriolet, de rendre visite aux quartiers généraux des principaux partis politiques et de me rapporter le programme électoral de chacun ? Nous pourrons ainsi les comparer et voir s'ils divergent. Pendant ce temps, je vais approfondir la question avec M. Coleshaw et trouver le meilleur moyen de déterminer la valeur d'un bulletin de vote. »
Seul, je descendis donc les escaliers qui menaient à l'appartement de mon cher ami. Boutonnant mon pardessus,je pris mon air le plus réjoui avant d'affronter l'épreuve qui m'attendait à l'extérieur (…)
(…) J'appelai un cabriolet.
Je souhaite depuis longtemps monter dans l'un de ces engins modernes de couleur noire équipés de pneumatiques, d'un moteur et d'une lumière orangée sur le toit, mais à chaque fois, mon pardessus, mon chapeau et mon col amidonné attirent l'attention des deux attelages à chevaux venus racoler des clients parmi la foule de touristes, et qui stationnent à longueur de journée dans Baker Street. Et aujourd'hui était un jour comme les autres. J'entendis des claquements de sabots, le cocher poussa un petit cri, il donna un coup de cravache et mon moyen de locomotion arriva à ma hauteur.
Nous passâmes en vitesse aux quartiers généraux du parti travailliste et du parti conservateur. C'était une journée calme, hormis les klaxons incessants des Londoniens dans leur automobile. Nous subîmes également un retard de cinq minutes lorsque notre cheval décida de soulager ses intestins sur le macadam. Le cocher arrêta alors l'attelage et s'activa autour de la chose avec un sac-poubelle en plastique noir et une énorme balayette qu'il appelait« sani-purin ».
À peine étais-je rentré que Holmes se précipita sur les programmes électoraux. Il les étudia avec sa loupe, recto et verso, de plus en plus perplexe et nerveux à mesure qu'il progressait dans son examen. Après une inspection d'une vingtaine de minutes, il posa son instrument et se caressa le menton.
«Pour être honnête, j'espérais trouver quelque chose de plus précis.
- Moi aussi, répondit M. Coleshaw.
- Ces documents ne représentent que des promesses, et celles des deux partis sont presque identiques. Santé, prospérité et bonheur pour tous. Je ne distingue que de minuscules différences dans le style, quelques légères nuances dans la méthode.
- Précisément.
- Prenez le programme du parti conservateur.»
Holmes saisit l'une des deux brochures et choisit une page au hasard. « De l'importance de l'éducation ... » Je n'aimais pas reprendre mon ami devant des invités, mais je détestais encore plus le voir dans une situation embarrassante.
« Holmes, dis-je, je crois que vous tenez dans votre main le programme du parti travailliste. »
Holmes regarda la couverture.
« Oh, mon Dieu! Oh, mon Dieu! Vous avez raison.
Eh bien, quelle preuve supplémentaire nous faut-il? Quelle étrange situation. Je crois qu'elle est pratiquement la même de l'autre côté de l'Atlantique. Il y a aux États-Unis deux partis dont les aspirations sont similaires et ne présentent que très peu de différences. Nous devons approfondir notre enquête, car quelle valeur a un bulletin de vote s'il ne vous permet que de choisir entre de la bouse de vache et du crottin de cheval ? »
M. Coleshaw fut renvoyé chez lui pour la durée des investigations qui, selon les estimations de Holmes, prendraient peut-être un certain temps. Pour ma part, je restai dans l'appartement de Baker Street au cas où je pourrais me montrer d'une aide quelconque. (…)
Je m'en vais de ce pas arpenter les couloirs de Westminster en toute liberté et en apprendre davantage sur la dévalorisation frauduleuse de ces innocents bulletins de vote. Revenez ici à dix-huit heures, Watson, et je partagerai avec vous le fruit de mes recherches. » (…)

Au cours de ses pérégrinations, Holmes en vient à rencontrer Ian Duncan Smith, leader du parti conservateur, et Tony Blair, leader du parti travailliste, auprès desquels il s’informe de leurs programmes.

(…) Les choses progressaient lentement. Le lendemain, lorsque je rendis visite à mon cher ami, je remarquai qu'il avait installé dans son salon l'un de ces nouveaux écrans électroniques modernes. Et ce dernier avait beau n'être là que depuis quelques heures, il semblait accaparer la pièce, au point que toutes les chaises étaient tournées dans sa direction.
«C'est fascinant, vraiment fascinant, murmura Holmes sans même se tourner vers moi.
- Que regardez-vous? demandai-je.
- Le Phil Donahue Show, une émission de type télé- réalité, je crois. Uniquement dans le cadre de mon enquête, bien entendu. »
Je pris une chaise et m'assis pour regarder l'émission en sa compagnie. Le thème du jour était la recherche sur les cellules souches, sujet que je connais très bien, étant moi-même un homme de médecine. Après quelques minutes, je me trouvai désemparé.
« Ces gens ne savent absolument rien! protestai-je. - Et pourtant, ils exposent leurs opinions avec beaucoup d'assurance. C'est fascinant, ne trouvez-vous pas?
- Holmes, nous sommes là à écouter ces imbéciles jacasser. Il serait franchement impossible de trouver un ramassis de gens plus idiots et moins informés que ceux que nous entendons et regardons en ce moment.
- Tss, tss, Watson. Au contraire, je pense que cela serait très facile. »
Quiconque aurait fait cette réflexion ne m'aurait pas amusé. Mais émanant de la bouche de Holmes, c'était là un prologue que je ne pouvais négliger.
«Je vous en prie, continuez, dis-je. Où pourrions-nous donc trouver des personnes d'une bêtise aussi remarquable?
- Parmi ceux qui regardent régulièrement cette émission, Watson. Ses fidèles spectateurs. » Une fois encore, j'avais le sentiment de n'être qu'un modeste élève face au plus grand détective du monde, et cela ne me gênait aucunement. En revanche, rester une minute de plus devant cette émission m'était intolérable. Comme mon ami poursuivait son enquête avec ferveur,je me levai et décidai de le laisser à ses recherches. « Je pense avoir résolu le mystère des bulletins de vote dévalués, dit-il tandis que j'allais ouvrir la porte.
- Quoi?» m'écriai-je.
Holmes désigna du doigt la machine despotique qui continuait à proférer des idioties.
« M. Blair a eu la gentillesse de me donner un indice, lorsque nous avons abordé le sujet des contraintes du pouvoir. Et cet appareil a confirmé ses propos. C'est absolument fascinant, Watson, vous devriez en acheter un.
- Je crains que mon épouse ne passe tout son temps ... Eh bien, à la réflexion, vous avez peut-être raison, je devrais envisager sérieusement la question.
- J'ai demandé à M. Coleshaw de revenir ici demain à dix-sept heures pour lui fournir des explications complètes. Peut-être souhaiteriez-vous vous joindre à nous?
- Mais, très certainement, Holmes. »
Lorsque je retournai à 'humble logement de Holmes, il était cinq heures passées de quelques minutes, car être retardé par des patients souffrants et peu fiables est le lot de tout médecin.
M. Coleshaw, notre électeur mécontent, était arrivé peu de temps avant moi, et Holmes s'efforçait de le mettre à l'aise.
« Voilà, dit-il d'un ton enjoué. Ce feu est vraiment de saison par un temps pareil. Vous semblez avoir froid, monsieur Coleshaw. Je vous en prie, prenez le fauteuil en osier. Je vais simplement enfiler mes pantoufles avant de résoudre le petit problème qui vous a conduit ici. » Holmes s'affaira un instant, puis il s'assit enfin et alluma sa pipe en terre. Il plaça le bulletin de vote sur la table comme point de référence. « Bon, commençons sans plus tarder, dit-il. Nous avons établi un peu plus tôt l'existence d'une démocratie consensuelle au sein de laquelle la différence entre les principaux partis politiques est si ténue qu'elle en devient quasi insignifiante, reposant uniquement sur d'éventuelles petites divergences d'opinions concernant l'imposition ou la répartition des richesses. La situation est identique en Amérique du Nord et dans bien d'autres pays d'Europe. Et lorsque l'on trouve des partis plus radicaux, ils ont peu de chance de s'emparer seuls du pouvoir et doivent donc modérer leurs positions afin d'intégrer une coalition. Partant de ce constat, nous pouvons d'ores et déjà être certains que ce bulletin de vote n'a que peu de valeur, car les choix qu'il propose sont très limités (…) Ici, en Grande-Bretagne, nous devons également répondre aux exigences de Bruxelles. Notre politique intérieure et notre législation doivent obéir aux règles établies par la Communauté européenne, cet organisme gigantesque qui (…) comprend des centaines de millions d'électeurs originaires de pays dont nous ne savons même pas prononcer le nom et que nous pouvons encore moins localiser sur une carte, et qui s'occupe d'affaires si ennuyeuses que personne n'y accorde le moindre intérêt. Mais je n'ai pas terminé, je ne fais que commencer. Comme M. Blair me l'a si gentiment fait remarquer, les contraintes que nous impose Bruxelles restent mineures comparées aux limites fixées par le système économique mondial et ses financiers. Nous devons introduire en bourse nos titres, nos obligations d'État, et même notre noble monnaie, dans une économie de marché où les très riches peuvent spéculer et punir toute action gouvernementale qui ne leur convient pas. Dans les pays plus pauvres, ce sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International qui détiennent cette mainmise économique. Dans les pays encore plus pauvres, des dictateurs corrompus sont chargés de contrôler le peuple en échange de quoi les pouvoirs occidentaux leur versent de l'argent et leur octroient certains privilèges. Enfin, et surtout, il nous faut prendre en compte le coût effrayant des élections. Chaque parti doit trouver des millions de livres afin d'obtenir la couverture médiatique indispensable à une victoire électorale, et cela uniquement grâce à des dons indépendants. Mais peu d'individus sont prêts à se défaire de leur argent ainsi, et ce sont donc les entreprises et les grandes sociétés qui s'en chargent. Aux États-Unis, me semble-t-il, les sommes attribuées à chaque parti dépassent parfois les 200 millions de dollars. Les entreprises et les grandes sociétés sont, par définition, gérées de façon à produire des bénéfices. Nous pouvons donc supposer qu'elles apprécieraient un retour sur investissement. Et si le président des États-Unis ne va pas jusqu'à porter des casquettes de base-ball aux couleurs de ses sponsors, il ne soutient généralement pas non plus les projets de loi qui contrarient leurs intérêts. Les grandes sociétés sont les banquières du système électoral et il faut les traiter avec tout le respect qu'elles méritent. Pour être bref, monsieur Coleshaw, vous avez absolument raison. Votre bulletin a été dépouillé de presque toute sa valeur, et les malfaiteurs sont nombreux. À présent que nous avons mis en évidence les différences insignifiantes qui existent entre les grands partis, le nombre incalculable d'électeurs, la position de notre parlement vis-à-vis de Bruxelles, le pouvoir du marché ainsi que les retours sur investissements attendus par les financiers des grandes sociétés dans le cadre du processus électoral, le bulletin de vote que je tiens là dans ma main n'a pas plus de valeur qu'une feuille de papier vierge sur laquelle, au moins, on pourrait écrire des choses dignes d'intérêt. »
Cette nouvelle ne transporta pas vraiment M. Coleshaw de joie. Son visage devint aussi pâle que celui de Michael Jackson. Il arracha le bulletin des mains de Holmes, le froissa dans son poing, puis le jeta avec détermination dans le feu où il s'embrasa durant quelques secondes avant de se transformer en fine cendre noire.
« Alors,je ne suis donc qu'un pion dans cette société, un simple consommateur. Mais, non,je m'y refuse. »
Ayant dit cela, il se leva de son fauteuil en osier, rafla son chapeau, sa canne, et prit congé à la hâte (…)
« J'ai donc voulu savoir quelle était, à notre époque, la véritable utilité d'un bulletin de vote , poursuivit Holmes. J'avais retrouvé mon fauteuil confortable, et mon ami avait à nouveau rempli sa pipe en terre.« J'ai également voulu comprendre pourquoi, dans ces conditions, le vulgum pecus se donne même la peine d'aller voter, et comment il parvient à faire une distinction entre les candidats, puisque le processus tout entier ne lui confère pratiquement aucun pouvoir concret. Naturellement, j'ai découvert, comme M. Coleshaw, que la population n'aime pas se sentir impuissante, et que ce sentiment l'incite fortement à exprimer ses choix d'électeur, car cela lui permet d'apaiser son angoisse de n'être qu'une particule insignifiante dans l'univers. La plupart des gens savent cependant en leur for intérieur que leur voix n'a que très peu de poids, mais ils continuent pourtant à voter, et souvent avec bonne humeur, car cela leur demande peu d'efforts. Inutile de connaître le programme des partis politiques, de savoir en quoi ils diffèrent ou bien se ressemblent, de se demander si leur projet économique tient la route ou encore si leur stratégie a un sens.
- Eh bien, ça alors! m'écriai-je. Mais si les gens ignorent tout cela, comment font-ils pour choisir leur candidat, même si leur bulletin n'a que peu de valeur? »
Holmes tapota doucement le fourneau de sa pipe contre le dessus du téléviseur.
« Mais, grâce à cet appareil, bien entendu. Une chose m'a frappé lors de mes recherches. Watson, comment se fait-il que, depuis quelque temps, tous les leaders politiques occidentaux passent généralement bien à l'écran, alors que parmi la population ordinaire la proportion de personnes télégéniques est faible. En effet, la capacité d'un leader politique à accrocher la caméra est si importante que le bon peuple américain a, ces dernières années, élu un certain nombre d'abrutis complets simplement parce qu'ils étaient télégéniques. Il me semble d'ailleurs que c'est le cas en ce moment. À première vue, Watson, cela n'a pas beaucoup de sens. Cependant, mes capacités de déduction m'ont permis d'aller au fond de la question et de trouver la logique qui la sous-tend. Voyons tout d'abord quel est le principal atout des personnalités les plus talentueuses du monde télévisuel. Ce sont des acteurs, mon cher ami, des acteurs professionnels, et leur principale qualité est de savoir nous convaincre que l'imaginaire et les artifices sont bel et bien tangibles, qu'ils sont ce qu'en vérité ils ne sont pas, et que l'univers dans lequel ils évoluent est bien réel, alors qu'il ne s'agit que d'un studio de cinéma ou d'un plateau de tournage, un monde fabriqué de toutes pièces. Dans ce concours d'aptitudes médiatiques, le responsable des relations publiques vient tout de suite après, en deuxième position. Charmeur et sincère, capable de vous persuader que le navire pétrolier échoué au large de la côte ouest et dont les cuves fuient ne présente aucun danger pour l'environnement, ou encore que le directeur général lui-même est mortifié et a perdu le sommeil depuis que vous avez trouvé par surprise un rat mort dans votre boîte de petits pois surgelés. Ces gens savent nous amadouer comme personne. Associez ces deux personnalités, Watson, et vous obtiendrez de toute évidence les qualités requises pour accéder à la fonction de Premier ministre ou bien de Président. Et le champ d'action de ces derniers est si limité par l'économie mondiale, la Bourse, les financiers et les grandes sociétés, qu'ils seraient bien incapables d'accomplir quoi que ce soit d'utile. Pourtant, s'ils se révèlent télégéniques, ils sauront vous convaincre du contraire. Et alors que toutes ces contraintes du marché causent du tort à notre pays, ces gens parviennent à formuler leurs arguments de telle façon, avec tant de sincérité, que nous ne nous rendons même pas compte qu'ils nous nuisent. Et c'est la raison pour laquelle les électeurs ne lisent pas les programmes électoraux, ne se donnent pas la peine de s'intéresser aux enjeux, ou bien ne votent pas pour des projets politiques ou pour des partis. Ils regardent la télévision et votent pour le candidat qui, selon eux, leur apportera le plus grand confort, parviendra le mieux à cacher la dérive économique implacable de notre nation, et saura offrir le sourire le plus charmant face aux désastres qu’il nous est impossible d’éviter. Bref, Watson, ils élisent l’histrion le plus convaincant, le meilleur menteur, ou leur prosélyte favori.

L’exposé de Holmes m’avait un peu déconcerté, je dois l’avouer. Je n’ai jamais été vraiment féru de politique, et pourtant je n’aurais jamais imaginé que notre système puisse être aussi inconsistant. Cependant, si Holmes l’affirmait, cela devait être vrai (…)


Andrew Starling
Titre original : The case of the dissatisfaid voter.
Traduit par Mathilde Martin
Rivages/Noir

Il va de soi que toute ressemblance avec des partis politiques, des programmas politiques ou des personnages publics existants ne serait que pure coïncidence. Qu'on se le dise !

Quoique....en vérité, il n'est pas si simple de tracer la ligne de démarcation entre fiction et réalité. Dans une autre nouvelle du même ouvrage, l'auteur demandait qui était le plus indispensable à l'autre, de Conan Doyle à Sherlock Holmes, ou de Sherloch Holmes à Conan Doyle ? Andrew Starling dans un autre pastiche de Conan Doyle "l'existentialiste convaincu", met de nouveau en scène Sherlok Holmes. A quelqu'un qui lui demande pourquoi il ne vieillit jamais, Holmes répond : "La réponse est que je suis un personnage de fiction, et que ceux-ci ne vieillissent pas forcément", à quoi l'autre rétorque : "Comment pouvez-vous donc être un personnage de fiction alors que je vous contemple en ce moment même ? "La solution est tout à fait élémentaire, tranche Holmes. Vous êtes, vous aussi, un personnage de fiction".

Alors, quid de nos figures politiques qui tiennent le devant de la scène, de Sarkozy, de Royal, de Delanoë...de Besancenot ? Appartiennent-ils au "faux journal" ou aux vrais guignols, car c'est la vraie question. Mais pour y répondre, je ne ferai pas appel au célèbre détective. Je m'efforcerai d'y répondre moi-même, dans un prochain article. Les vacances sont bien finies.

Retour au sommaire


Aucun commentaire: