La réforme Peillon remet en cause le service public d'éducation
François Hollande s’était engagé à faire de l’école la première de ses priorités et de la « refonder ». C’était à la fois reconnaître son état de dégradation et la nécessité de tourner le dos aux réformes qui l’avaient accablée sous les précédents gouvernements : tâche immense à laquelle tous les partenaires de l’école étaient prêts à s’associer. Au lieu de cela, Vincent Peillon s’est jeté sur le serpent de mer des rythmes scolaires, sans montrer le moins du monde en quoi une nième réforme du temps scolaire était nécessaire ni surtout en quoi elle permettrait de résoudre les difficultés de l’école, en particulier « l’échec scolaire », le « décrochage des élèves », ou la « violence à l’école ».
Si encore cet allongement de la durée de présence à l’école pour les
enfants et pour les maîtres était utile pour mieux apprendre ou pour apprendre
davantage ! Mais il n’en est rien car, sous prétexte de « réformer
les rythmes scolaires », on dilue le temps scolaire dans des animations
diverses, à la faveur d’une confusion entre le scolaire et le périscolaire, on
« prolonge », on « redéploie », on
« territorialise ». Au lieu de s’attaquer aux maux dont souffre
l’école, de restituer aux enseignements les heures dont on les a amputés et de
rendre à l’école les moyens dont on l’a privée, Vincent Peillon propose de
« redéployer les activités périscolaires existantes – notamment celles du
mercredi matin – et à en proposer de nouvelles ». Cela pourrait paraître dérisoire si l’on
ne voyait pas les menaces qu’un tel
projet fait peser sur le service public d’enseignement.
Il vise d’abord de dénationaliser l’école pour transférer les
responsabilités éducatives aux communes et autres collectivités territoriales.
Les premiers moyens consacrés par l’État à cette réforme sont ceux de son
désengagement : le financement de la réforme consiste dans « la création d’un fonds spécifique pour accompagner l’organisation
d’activités périscolaires par les communes ». C’est ainsi que l’on
exerce sur les communes un véritable chantage à la subvention : « toutes les communes ayant décidé de mettre
en œuvre les nouveaux rythmes scolaires à la rentrée 2013 se verront allouer
une dotation forfaitaire de 50 euros par élève », étant entendu que
celles qui n’y consentiront pas y seront contraintes pour la rentrée
2014 : « L’article 4 du décret
prévoit que les nouveaux rythmes scolaires seront mis en œuvre dès la rentrée
scolaire 2013. Toutefois, le maire ou le président de l’EPCI (établissement
public de coopération intercommunale)
pourra, au plus tard le 31 mars 2013, faire part au DASEN (Directeur académique des services de l'éducation nationale) de son
souhait de reporter l’application de la réforme à la rentrée 2014 pour les
écoles de la commune ou des communes membres de l’EPCI ».
On
connaissait le « projet d’établissement » qui, rendu
obligatoire par la loi d'orientation du 10 juillet 1989 (dite loi Jospin),
avait commencé de mettre en cause le caractère national de l’éducation. Voilà à
présent le
« projet éducatif territorial » qui porte le coup de grâce à l’École
de la République. Selon la circulaire officielle, il faut voir dans ce
« projet éducatif territorial » (PEDT) « un outil essentiel pour mettre en œuvre le volet éducatif de la réforme
des rythmes scolaires et l’articulation des temps de vie des enfants ».
En réalité, il faut voir dans le PEDT, non pas seulement un moyen, mais le
socle et le but de cette réforme qui s’inscrit délibérément dans l’acte III de
la décentralisation qui, lui-même, aligne la France sur l’Europe. Le rôle de
l’éducation nationale est redéfini et revu à la baisse : « Le PEDT impulsé par la collectivité
territoriale d’implantation, est élaboré conjointement avec les administrations
de l’État concernées (éducation nationale, sports, jeunesse, éducation
populaire et vie associative, culture, famille, ville...), les associations,
notamment d’éducation populaire, les institutions culturelles et sportives,
etc. (…) Le rôle de l’éducation nationale est notamment de construire,
d’orienter et d’évaluer les actions mises en place afin de rechercher la
cohérence entre ces dispositifs et les projets d’école. »
Il s’agit
d’abord d’ajuster l’école française à l’Europe et au delà aux pays membres de
l’OCDE, organisation multinationale qui multiplie les rapports sur les mesures
à prendre pour réduire le déficit public et améliorer la compétitivité de
l'économie française. Le ministre Peillon tire son argumentation d’une
étude de « l’Association internationale pour l’évaluation des
performances éducatives » qui établirait la situation dégradée de notre
école. Les écoliers français seraient en très mauvaise position pour
l’apprentissage de la lecture, ils souffriraient plus que leurs camarades
européens d’un manque de confiance en eux ; bref « avec un score de 520 points, la France
n’arrive qu’en 29e position sur 45 pays, en deçà de la moyenne européenne, qui
est de 534 points ». La leçon est claire : au lieu de se pencher
sur les politiques et les « réformes » qui ont dégradé l’école
française, de les corriger ou de les supprimer, il faudrait s’inspirer des
autres systèmes scolaires de l’OCDE, donnés pour référence.
En
réalité, cette réforme ne se soucie pas plus de la qualité de l’école française
que de l’intérêt des élèves. « Depuis
la mise en place de la semaine de quatre jours en 2008, les écoliers français
ont le nombre de jours d’école le plus faible des 34 pays de l’OCDE » :
qu’est-ce qui importe ici, le nombre de jours d’école, ou le nombre d’heures
consacrées à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul ?
Est-ce en étirant le temps passé à l’école en le prolongeant par une pléthore
d’activités censées « développer la
curiosité intellectuelle et renforcer le
plaisir d’apprendre et d’être à l’école », ou en le recentrant sur
l’enseignement, première fonction de l’école ?
Que
valent les arguments statistiques et les rapports des « spécialistes des
rythmes de l’enfant » lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les missions de
l’école et sur les principes qui permettront de la « refonder »,
si c’est bien de cela qu’il s’agit et pour autant qu’elle en ait besoin ?
Rien de moins sûr lorsqu’on considère la faiblesse du diagnostic (l’extrême
concentration du temps d’enseignement, unique à la France et préjudiciable aux
apprentissages, source de fatigue et cause principale des difficultés
scolaires) et l’indigence des solutions (une meilleure répartition des heures
de classe sur la semaine, un allègement la journée de classe et à une programmation
des séquences d’enseignement à des moments où la faculté de concentration des
élèves est la plus grande). S’il ne s’agissait de cela, on pourrait regretter
qu’une fois de plus ce gouvernement passe à côté de l’essentiel. Encore une
fois on fait du neuf avec du vieux pour ignorer les vraies questions et cacher
les vrais enjeux. Depuis le début des années 1980 que la question des rythmes
scolaires est sortie du chapeau, on a voulu atteindre l’école dans sa
spécificité et dans ses missions propres. Toutes ces « réformes des
rythmes scolaires », dont celle de Vincent Peillon n’est que la énième
mouture, vont dans le même sens :
- diminution des heures consacrées à
l’acquisition des connaissances (réduction des horaires et allègement des
programmes), au profit d’activités diverses auparavant pratiquées dans un
cadre extra ou périscolaire.
- désengagement de l’État au profit des
communes, des départements, des régions,
- appel à des intervenants extérieurs.
- Invocation de l’intérêt de l’enfant
dans un état de surmenage dont on rend l’école seule responsable.
Elles reposent toujours sur les mêmes présupposés :
- Les apprentissages proprement scolaires sont
générateurs de fatigue et d’ennui : c’est dans le travail scolaire
qu’il faut voir les causes de l’échec, du décrochage et de la violence.
- Il y a des moments, dans la journée et
dans la semaine où la faculté de concentration des élèves autorise le
travail scolaire. Hors de ces temps privilégiés, et sans doute de plus en
plus rares, il ne reste qu’à les
occuper par des animations diverses et des activités de loisirs.
- Seules les activités récréatives et ludiques
dispensent le plaisir et sont de nature à attirer les enfants à l’école.
Moins ils y travailleront, plus ils s’y amuseront, mieux cela vaudra pour
eux et pour la société.
Décidément, ceux qui
décident ces réformes, Ministre en tête, n’aiment pas l’école.
Enfin, cette
« réforme » n’est pas du tout une réforme des rythmes
scolaires : elle provoque tout au plus un bouleversement du temps de
l’enfant qui, comme le remarquent justement les parents, n’appartient pas seulement à l’école.
- Elle chamboule l’organisation familiale, y
compris dans les activités culturelles et de loisirs qui étaient à
l’initiative des familles.
- Elle disloque l’organisation scolaire :
par exemple, les salles de classe, qui étaient réservées à l’enseignement,
sont maintenant aussi utilisées pour toutes sortes d’activités prises en
charge par toutes sortes d’intervenants avec des horaires variant d’une
école à l’autre.
- Elle engendre une dégradation considérable des
conditions d’apprentissage des élèves, de graves risques pour leur
sécurité, ainsi que pour celle des personnels, et une vive inquiétude des
enseignants sur leur responsabilité.
La lettre des directeurs
d’école du VIe arrondissement de Paris au maire de Paris le met
particulièrement bien en évidence : « le projet territorial produit
au quotidien des effets dévastateurs », et c’est de manière très
insidieuse que les enfants, censés tirer les bénéfices de cette réforme, sont
jetés dans des abîmes de confusion. Cette lettre montre à quel point
l’indifférenciation des lieux et des temps est signe de confusion pour
l’enfant :
« … les activités périscolaires (…) ne seront
jamais de l’ordre des activités scolaires ; elles concernent l’enfant, pas
l’élève « (…) leur indistinction ne permet pas aux élèves de construire
leur propre représentation de la classe comme le lieu symbolique de la
transmission des savoirs (…) En
oblitérant cette évidence, on ne peut que troubler la représentation de la classe
pour l’élève et participer à sa perte d’identité. Oui, le projet territorial
est générateur de confusion, de perte de repères spatio-temporels pour l’enfant
qui parfois ne comprend plus trop ce que veut dire aller à l’école. »
De telles conséquences,
gravissimes, vont à l’opposé des intentions proclamées, comme à chaque fois que
l’on a prétendu centrer l’école sur l’enfant, dans l’ignorance du besoin qu’a
l’enfant d’une école qui l’instruise et qui l’élève. Car à travers le caractère
national de l’école publique, c’est l’école comme lieu de transmission des
savoirs que l’on veut détruire. Ce qui est en ligne de mire, c’est l’École de
la République, gratuite laïque et obligataire, que l’Europe ne peut souffrir,
et dont elle demande aux gouvernements de la France de faire le sacrifice,
comme de son hôpital public, de son système social, et de l’ensemble de ses
services publics : c’est ce qu’ils appellent « réformes
structurelles ».
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ANNEXE.
Le passage de
4 jours à 4 jours et demi ne diminue pas la durée de la journée scolaire, qui
reste de 6 heures.
L’ajout d’une
demi-journée de 3 heures (mercredi ou samedi matin) ne fait rien gagner en
heures d’enseignement, qui restent limitées à 24 heures hebdomadaires.
Or c’est ce
temps d’enseignement qui a été réduit un peu plus à chaque réforme.
En un peu plus d’un siècle, la durée obligatoire annuelle de présence en classe des élèves de l’école primaire est passée de 1338 heures à environ 850 heures :
En un peu plus d’un siècle, la durée obligatoire annuelle de présence en classe des élèves de l’école primaire est passée de 1338 heures à environ 850 heures :
Avant
1969, l’horaire scolaire hebdomadaire est de 30 heures, réparties sur 5 jours.
En 1969, l’arrêté du ministre Olivier Guichard abaisse l’horaire hebdomadaire de classe à 27 heures, de façon à libérer le samedi après-midi.
En 1972, la journée de repos du jeudi est remplacée par le mercredi.
La loi d’orientation du 14 juillet 1989 ramène l’horaire hebdomadaire d’enseignement à 26 heures.
La réforme Darcos de 2008, réduit l’horaire hebdomadaire à 24 heures de façon à libérer le samedi.
En 1969, l’arrêté du ministre Olivier Guichard abaisse l’horaire hebdomadaire de classe à 27 heures, de façon à libérer le samedi après-midi.
En 1972, la journée de repos du jeudi est remplacée par le mercredi.
La loi d’orientation du 14 juillet 1989 ramène l’horaire hebdomadaire d’enseignement à 26 heures.
La réforme Darcos de 2008, réduit l’horaire hebdomadaire à 24 heures de façon à libérer le samedi.
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