Sauver la Sécu de 1945


Faux amis ou vrais ennemis ?




On sait à quel point la Sécu est l'objet d'attaques multiples et cela, depuis longtemps déjà : on se souvient encore des ordonnances sur la sécurité sociale de 1967 qui, tout en marquant (déjà) un désengagement de l'état, accroissaient (déjà) son contrôle en faisant éclater le régime général en trois caisses nationales (Vieillesse, Maladie et Famille), qui satisfaisaient les exigences du patronat (déjà), en instaurant le paritarisme strict entre des " partenaires sociaux" ayant désormais le même nombre de représentants dans les conseils d’administration, qui supprimaient les élections des administrateurs salariés, désormais désignés, et qui tiraient argument (déjà) d'un "trou" devenu depuis légendaire pour augmenter les cotisations et diminuer les prestations (déjà !). Il faut encore rappeler que ces ordonnances avaient alors suscité une grève générale qui, à l'époque, n'était pas passée inaperçue.

Il faudra attendre un Gouvernement de gauche, en 1982 pour que la prépondérance soit redonnée aux représentants des salariés au sein des conseils et pour que soit rétablie l’élection des membres des conseils d’administration (en théorie tous les 5 ans). Elles seront effectivement organisées pour la première fois en 1983, mais ce sera la dernière fois !!!

Éphémère et timide processus de reconquête donc, avant le plan Juppé de 1995, qui transfère à l'État le contrôle du budget de la sécurité sociale, et qui, par là même, fait main basse sur les cotisations. Véritable confiscation du salaire différé qui permet à l'État de dessaisir les travailleurs de la gestion de leur propre protection en la soumettant à des critères purement financiers. Une seule obsession désormais : "équilibrer les comptes", "réduire les déficits" bref, "boucher le trou". Il s'agit là d'un véritable travail de fossoyeur, l'enterrement de la sécurité sociale de 1945 faisant suite à une escroquerie : l'État s'arroge un droit sur des fonds qui ne lui appartiennent pas. C'est exactement comme si je m'arrogeais le droit de gérer les ressources de mon voisin, sous prétexte qu'il le fait mal. Juridiquement, cela s'appelle la "curatelle", ou la "tutelle". Bien entendu, ces régimes de protection sont strictement encadrés par la loi et s'adressent à des "personnes majeures incapables. S'attribuer le contrôle de la sécurité sociale, cela revenait, pour l'État, à mettre le peuple sous tutelle en le déclarant incapable. C'était déjà, en cela, un déni de démocratie. Mais cela ne suffisait pas.

A cela il faut en effet ajouter l'imposture consistant,
  • d'une part à étouffer les systèmes de solidarité en dispensant le patronat de payer les salaires différés, qu'il appelle "charges patronales" et
  • d'autre part, au nom du prétendu déficit des caisses imputable à cette diminution arbitraire de ressources, de "diminuer les dépenses" :

    • en diminuant les taux de remboursement,
    • en allongeant sans cesse la liste des médicaments déremboursés,
    • en multipliant taxes et franchises et, à présent,
    • en revenant sur la prise en charge à 100 % des affections de longue durée.
Mais cela ne suffit pas encore. Un système de solidarité complémentaire s'était mis en place en mutualisant le risque. Or c'est la forme mutualiste elle-même qui est à présent dénoncée par les assurances privées, au nom de la sacro-sainte "concurrence libre et non faussée". Plus insidieusement, lesdites mutuelles en viennent, dans cet élément concurrentiel, à adopter la même logique financière que les assurances privées, tournant le dos à leur mission de solidarité. C'est ainsi que, selon Nicolas Pomiès, c'est la "Mutualité Française", qui fédère l'ensemble des mutuelles, qui donnerait un "dernier coup de poignard à la Sécu." Je reproduis son article, que je tire de la lettre n°53, de L'U.F.A.L. (Union des Familles Laïques), dont il me semble important de prendre connaissance :

" La Mutualité française avait mis en place en 2006 un « Parcours de Santé Mutualiste », un parcours où « l'objectif de la Mutualité française, était de proposer demain à ses adhérents une marche à suivre, un circuit balisé et expertisé depuis le médecin généraliste jusqu'au service de pointe, en incluant le dépistage et la prévention.
Ce parcours risquait rapidement de s'apparenter à une filière de soins dans laquelle le patient sera obligé de s'inscrire pour bénéficier des conditions de remboursement de sa mutuelle : Médecin traitant conventionné, Spécialiste conventionné, Clinique conventionnée, etc.
L'égalité d'accès au soins des assurés sociaux théoriquement garantie par la loi s'en trouvait éliminée.
Sous couvert de qualité des soins, il se cachait une volonté de captation du patient dans un système économique pour le bénéfice comptable des seules mutuelles de la Mutualité Française. Avec ce "Parcours de Santé Mutualiste" il y avait fort à parier qu'il s'agirait de créer un réseau de soins spécifique au parcours "mutualiste" mieux remboursé qu'en dehors.
La Mutualité Française adoptait en fait la même logique financière que la compagnie AGF (Le Point N°1299, article publié le 26/01/2007) qui proposait une superbe assurance privée réservée à une élite bénéficiant des services de 200 médecins sélectionnés par la compagnie elle-même.
Déjà ce "Parcours de Santé Mutualité" était une attaque en règle du conventionnement des médecins, praticiens et établissements, piloté par l'UNCAM, et négocié dans une convention nationale. En bref, cette création de la Mutualité Française était un outil majeur de sa grande revanche contre la Sécurité Sociale de 1945 (il faut savoir que la plupart des dirigeants de la Mutualité Française trouvaient la Charte du Travail de Pétain comme une merveille et la Sécu comme une horreur).
Le Président de la Mutualité Française, M. Davant se disait d'ailleurs « prêt à engager des discussions avec les professions de santé, collectivement mais aussi individuellement » ?
La Mutualité Française vient donc de passer aux actes en transformant en mai 2008 son "Parcours de Santé Mutualiste" en "Priorité Santé Mutualiste" qui enfonce le clou.
Ainsi le praticien ou le centre de soins seront évalués sur des critères de performance (sic!) sur la résolution des pathologies.
L'adhérent d'une "mutuelle" de la Mutualité Française est donc convié à contacter une plate-forme téléphonique pour connaître l'établissement le mieux adapté car bien noté à la résolution de sa pathologie. Les critères d'évaluation étant conformes à ceux donnés par la haute autorité de santé (HAS) et suivis par un comité d'experts et éventuellement d'associations de malades reconnues.
Quelle garantie d'indépendance médicale un conventionnement de ce type offre-t-il pour le patient ? Et surtout jusque quand le remboursement de la "mutuelle" sera maintenue en dehors de "Priorité Santé Mutualiste" ?
En effet, si l'on suit la feuille de route que consista le rapport Chadelat de 2003, la Sécu devrait bientôt définitivement ne gérer qu'une assurance minimale, la grosse part des soins devraient être laissées aux seules complémentaires santé. "Priorité Santé Mutualité" n'est que la copie des démarches de conventionnement en dehors de la Sécu déjà opérées par plusieurs opérateurs "réseau de santé". Les groupes financiers qui investissent en ce moment sur la santé préparent leurs réseaux de soins privés favorisés par toutes les mesures gouvernementales actuelles obéissant aux directives européennes (privatisation des hôpitaux, fin du remboursement de l'optique et du dentaire; déremboursement de nombreux médicaments, automédication et vente en supermarché et station-service etc.) dont la Ministre Bachelot a indiqué qu'elles devaient porter leur fruits pour 2010.
Le système qui consiste à mettre dans les mains d'actionnaires, la santé de la population est connu, il provoque des ravages aux Etats-Unis. La médiatisation du contenu de "Priorité Santé Mutualiste" prouve, une fois de plus, que les dirigeants de la Mutualité Française ont fait le deuil de la Sécurité Sociale Solidaire et préparent leur positionnement sur le marché qu'est devenu notre santé.
Bien évidemment, en tentant de jouer l'économie capitaliste, sans résister et défendre les spécificités de l'économie sociale et solidaire mais au contraire en oeuvrant à la privatisation totale de la santé, les mutuelles de la Mutualité Française creusent leurs tombes comme elles contribuent par leurs doubles discours solidaires un jour, assurantiels souvent, à désorienter les assurés sociaux.
Car en fin de compte, c'est l'état sanitaire de la population qui va pâtir des trahisons et autres "priorité Santé Mutualistes".
Nicolas Pomiès

Ce "coup de poignard" est particulièrement grave, et c'est pourquoi il m'a semblé" essentiel de reproduire le texte de l'U.F.A.L. dans son intégralité, et de le soumettre à discussion.

Car c'est la logique financière qui s'impose par ce biais, et la Mutualité Française enfonce le clou en tirant argument du coût sans cesse croissant de la santé. "La santé coûterait trop cher", de sorte qu'il serait à présent impossible d'assurer un égal accès aux soins. Et l'on comprend que cette idée insidieuse d'un système de soins à deux vitesses, qui exclurait nombre de médicaments ou de traitements dits "de confort" des remboursements de la Sécu, séduit particulièrement le privé qui lorgne avec appétit vers cette manne extraordinaire que représente le budget de la santé. A présent que les mutuelles s'y mettent, on est en droit de se demander où sont les faux amis de la Sécu, et qui sont ses vrais ennemis !

Car à qui revient-il donc de statuer sur le prix de la santé ? N'est-elle pas le bien le plus précieux pour tout un chacun ? N'est-ce pas à ce bien qu'à chaque début d'année, au moment des voeux de janvier, nous subordonnons tous les autres ? Les bourgeois tout autant que les prolétaires, dira-t-on. Soit, à une différence près, toutefois.

Si les bourgeois accordent une très grande valeur à leur propre santé, ils n'ont guère de peine à en payer le prix grâce aux profits accumulés sur le dos des travailleurs, profits qui permettront de surcroît de faire prospérer les groupes d'assurances privées bâtis sur les ruines de la sécurité sociale !

Les travailleurs n'ont, eux, pour financer leurs dépenses de santé, que la sécurité sociale construite à partir de 1945 et dont la vocation est de garantir à tout être humain la protection de sa santé, sa sécurité matérielle, des moyens convenables d'existence, quels que soient son état de santé, son âge et ses revenus. Quand on ajoutera que ce système de protection n'est pas une manne tombée du ciel, mais un dispositif qu'ils se sont donné en réservant une part de leur salaire, on ne voit absolument pas de quel droit on se permettrait d'y toucher, et qu'importent les arguties et les mensonges de tous ces favorisés qui, n'ayant aucune difficulté à se faire soigner, rêvent de mettre dans leur poche "l'énorme budget de la sécurité sociale", et d'en déposséder les légitimes titulaires, au nom de la "concurrence libre et non faussée".

Le seul moyen légitime permettant d'assurer l'équilibre du budget de la sécurité sociale, c'est de lui restituer l'intégralité de ses ressources. Quant aux "dépenses de santé", ce sont celles qui sont requises à la production d'un bien qui n'a pas de prix. En tout état de cause, ce prix ne peut être évalué que par ceux qui en sont les bénéficiaires.

Voilà l'enjeu, et voilà pourquoi il est tellement important de défenre bec et ongles la sécurité sociale de 1945: c'est un enjeu de civilisation.






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